"Il faut que la peinture serve à autre chose qu'à la peinture", Henri Matisse.
Alain Zenthner
La rubrique «Journal» rassemble articles, réponses à des sollicitations, impressions, commentaires, et improvisations (à chaud) sur des faits vécus ou d’actualité.


29 décembre 2005

Le Science et vie du mois (n°1059) «refuse» de croire à l’existence d’un programme caché (intelligent) à l’œuvre dans la nature et pourtant… de plus en plus de chercheurs soutiennent cette thèse.

D’après la paléontologue Anne Dambricourt-Malassé le sphénoïde, petit os situé à la base du crâne, serait l’indice d’un programme évolutif. Son mouvement de repli progressif aurait entraîné la morphologie de nos ancêtres vers l’hominisation. La pression de l’environnement (donc la sélection naturelle de Darwin) ne peut expliquer seule ce phénomène qui laisse de plus en plus de place au cerveau…

Trois chercheurs ont apporté une formalisation mathématique de ce plan caché : le paléontologue Jean Chaline, l’astrophysicien Laurent Nottale et l’économiste Pierre Grou. Cette loi mathématique permet d’expliquer et de prédire l’apparition des mutations génétiques correspondant aux sauts d’espèces… L’arbre de la vie aurait selon eux une structure fractale (de forme irrégulière ou morcelée qui se crée en suivant des règles déterministes). Selon Chaline ce programme trouverait son origine au cœur de nos cellules, il serait contenu dans la succession des quatre bases A, T, G, C de l’ADN, et ne serait pas étranger aux gènes «architectes» qui gouvernent le plan de construction des organismes.

Christian de Duve prix Nobel de médecine (1974) apporte sa caution : «quand il s’agit d’aller vers la complexité, l’évolution emprunte un chemin donné parce qu’elle n’a pas d’autre choix, elle y est forcée par la nature même de la vie». Il sous-entend donc que la complexification qui conduit au cerveau humain et à l’émergence de la conscience ne serait pas le seul fruit du hasard et de la sélection naturelle.

Science et Vie oppose les partisans de la sélection naturelle de Darwin à ceux qui pensent que l’évolution est programmée - auxquels il associe en outre à tort les créationnistes dont les motivations sont d’ordre spirituel.
Cette confrontation n’a pas de sens car la sélection naturelle constitue en elle-même un «programme caché». On ne peut en effet encore expliquer par quelle voie les traits héréditaires bénéfiques émergent et se transmettent à travers les générations.
On est tout aussi loin de pouvoir comprendre le procédé qui au départ de la perception par les sens des conditions extérieures aboutit à une transformation de l’organisme d’une espèce - même si elle est très progressive et infime sur une génération, elle doit être effective !


28 décembre 2005

Faut-il être fou pour monter en plein hiver (par – 25 °C !) sur les cimes de montagnes enneigées assis sur des banquettes givrées suspendues dans le vide et ballottées par le vent glacial… Le but est de trouvé son plaisir en dévalant diverses pentes plus ou moins chaotiques et de le faire durer jusqu’à la fin du jour quand il convient de regagner la station affrétée. Il faut endurer l’exercice six jours… Des «manœuvres» qu’on s’oblige à exécuter par le motif et la nature même du séjour… conditionnées, abrutissantes et saugrenues dans leur illusion de liberté. La seule désillusion réside dans la beauté de la montagne déséquipée, dans les éléments naturels sans pitié pour les inopinés, dans la pureté et la fraîcheur qu’on ne peut (encore) mâter, dans la prise de conscience de la ridicule dimension humaine sous ses airs de grand seigneur de la terre…


19 décembre 2005

Nous sommes à ce jour six milliards cinq cents millions d’humains recensés sur le vaisseau Terre (plus quelques centaines de milliers de «clandestins»)… un esquif spatial – rempli aux deux tiers de sa capacité mais dont le nombre d’occupant croît de manière exponentielle – lancé à 107.244 Km/h sur son orbite autour de son étoile et tournant sur lui-même (à l’équateur) à 1.670 Km/h… Peut-on réellement croire qu’il soit viable à long terme - ne fut-ce que quelques siècles encore - avec une quantité de passagers maximale (qu’il faudra parvenir à stabiliser) et les ressources limitées dont il dispose ? Le foisonnement de la vie rassure, donne l’impression que l’humanité sera éternelle… mais qu’en restera-t-il dans un millénaire ? Peut-être seulement l’une ou l’autre colonie sur la Lune et sur Mars ? Que le pouvoir politique des pays les plus développés pressent d’ailleurs déjà comme des canots de sauvetages… Il apparaît dès maintenant certain que seul le bon sens appliqué aux progrès techniques puisse viabiliser la planète au-delà de ce que la logique actuelle permet d’espérer…

Est-il nécessaire que l’artiste s’informe du monde dans lequel il vit, qu’il s’intéresse à l’environnement, à la politique, à la science, à la culture, à autrui… ?
La question ne peut générer une réponse qui soit un jugement de valeur.
Réponse - non : l’artiste travaille seul dans sa cellule sans se soucier du monde extérieur et construit son oeuvre sur son vécu, ses émotions intimes. Une œuvre spécifique, fermée, repliée sur elle-même… un nouvel échantillon d’humanité à découvrir.
Réponse - oui : l’artiste travaille tout aussi seul dans sa cellule, mais en sort le plus possible pour voir et comprendre le monde et ceux qui l’habitent, se fonde sur ce qu’il voit et ressent à leur contact pour façonner une œuvre ouverte, un reflet du monde dont il est le miroir.


18 décembre 2005

La bionique – la science qui étudie certains processus biologiques en vue d'une application à l'électronique et aux diverses sciences techniques – permet déjà à des bras, des mains et des jambes artificielles d’être contrôlées par la seule pensée grâce à des senseurs placés sur les terminaisons nerveuses de l’individu provoquant une action directe sur les récepteurs de la prothèse.

Dans le domaine de la vision on sera bientôt en mesure de remplacer le globe oculaire des malvoyants par un œil artificiel constitué d’une caméra reliée à un ensemble de liaisons nerveuses du nerf optique de l’œil.

En ce qui concerne le clonage thérapeutique on a déjà réussi la transformation de cellules souches d’embryons indifférenciés en cellules du myocarde (se mettant à battre toutes seules) pouvant être injectées dans un cœur malade pour remplacer les cellules défaillantes.

On sait que le clonage reproductif de l’être humain est aujourd’hui possible, il ne resterait donc plus qu’à… (dur morceau tout de même) transférer ce que contient le cerveau original dans le cerveau cloné (comme on copie un disque dur) pour atteindre à l’immortalité…

A lire sur le sujet: La revanche du serpent ou la fin de l’homo sapiens de Bernard Debré (Le Cherche Midi).


10 décembre 2005

J’ai suivi le cours mensuel de l’astrophysicien Jean-Claude Lefebvre hier soir dans le cadre des activités programmées par la SAL (Société Astronomique de Liège). Le sujet de la soirée était « Saturne ».

Je me souviens que ma première observation de cette planète du système solaire au télescope de 250 mm m’avait laissé pantois d’admiration. Ce sont bien sûr ses anneaux constitués de glace et de poussière qui la distinguent des autres planètes et en font une des merveilles du ciel. Elle m’était alors apparue (et m’apparaît toujours) comme une véritable création artistique. Ce type d’objet céleste nous amène à nous (re)poser immanquablement les questions (sans réponses) de l’origine de l’univers, de son sens, de sa détermination (ou non) régie par un principe supérieur (ou non), des origines de la vie et de notre existence…

Je relève un bref passage de l’exposé qui a duré plus de deux heures (et qui ne constitue qu’une première partie !) pour mettre en lumière un curieux phénomène astronomique (parmi bien d’autres) mais surtout pour souligner les prouesses de la science et de la technologie.

En 1979 la sonde Pioneer 11 découvre à l’extérieur des anneaux qui étaient connus et qui avaient été observés depuis la terre dans les plus grands télescopes, un discret anneau de matière supplémentaire baptisé anneau F. En juillet 2004, la sonde Cassini l’observe de près pour la première fois et analyse l’étrange manège du petit satellite ovoïde Prométhée (mesurant 102 kilomètres seulement dans le sens de son plus grand axe). Circulant sur une orbite légèrement intérieure à l’anneau, des clichés pris en octobre 2004 montrent l’existence d’un pont de matière entre le planétoïde et l’anneau.

Une des suppositions de ce phénomène est que Prométhée se nourrit de l’anneau et reforme lentement par accrétion un satellite de Saturne qui aurait été détruit il y a moins de mille ans ; une autre est qu’il pourrait simplement entraîner un peu de matière dans son sillage et que celle-ci se remettrait rapidement en place jusqu’à un nouveau passage du satellite trois mois plus tard.

Sur une orbite légèrement extérieure à l’anneau, Prométhée a son pendant appelé Pandora (mesurant 84 kilomètres). Tous deux à force de venir se frotter aux particules de l’anneau le modèlent, le « lissent ». Ce sont donc des sortes de gardiens de l’anneau qu’on appelle pour cette raison des satellites « bergers ».

On s’est aperçu que tous les anneaux de Saturne sont des «feuilles cryptées», les vagues qui rident leurs surfaces sont dues à l’influence gravitationnelle des satellites, la structure et le comportement de cette « houle » permettent aux scientifiques de déterminer avec précision la masse de chacun des satellites…

Il faut rappeler que Saturne est distante d’un milliard et demi de kilomètres de la terre (en moyenne) ! et que l’humanité parvient aujourd’hui à observer et à analyser des phénomènes aussi subtiles (concernant des objets aussi petits) se produisant à une telle distance…

L’astronomie serait susceptible de changer le monde si elle était accessible à tous (toute la population mondiale), elle reléguerait sans doute à pareille distance certaines conceptions fidéistes rétrogrades…


3 décembre 2005

En 1957, dans sa thèse de doctorat, le physicien Hugh Everett propose sa théorie des univers multiples et des superpositions d’états pour expliquer que l’électron suit plusieurs trajectoires simultanément, alors qu’une seule peut être localisée (si un faisceau de photons est divisé en deux et sont séparés l’un de l’autre de plusieurs années-lumière, ils restent en corrélation ! Le photon est simultanément sur chacune des branches du faisceau…).

Everett proposa que l’électron suit chaque trajectoire dans d’autres univers… notre univers et tous ses constituants seraient dans tous leurs états quantiques possibles simultanément. L’observateur entrerait dans une superposition d’états mentaux qu’on a appelé «l’interprétation de pensées multiples», chacun des états mentaux percevant son propre univers.

A essayer de comprendre les théories quantiques (dont on sent bien qu’elles flirtent avec la limite de l’intelligibilité humaine), l’angoisse me vient que le monde ne serait qu’un mirage composé par une entité impénétrable prodigieusement inventive, provoquant des dialogues fictifs entre tous les éléments mis en forme, produisant à son gré bonheur ou malheur - apparent. Dans ce cas toute confrontation au monde ainsi qu’à moi-même serait virtuelle me laissant juste la conscience de ma solitude dans le néant…

La voie proposée par Everett a été abandonnée (réconfortant ?) n’ayant aucun espoir de pouvoir être vérifiée un jour, les physiciens se sont tournés vers la théorie quantique de l’information (voir les commentaires du 7 octobre 2005).


Les mathématiques appliquées à la physique permettent de dépasser le cadre des concepts familiers, elles contribuent à l’histoire de la pensée. Elles sont en mesure de prévoir par leurs équations le résultat surprenant d’expériences comme par exemple le choc organisé (dans les grands accélérateurs) de deux protons. Cette collision rend non seulement les deux protons intacts mais produit d’autres particules (un certain nombre que les équations peuvent déterminer). Le mouvement a été transformé en objets comme si la collision entre deux voitures produisait cinq ou six nouvelles voitures identiques.

Les mathématiques seraient-elles (comme le disait déjà Pythagore) l’essence même des choses ? Leur rôle est irremplaçable mais ne peut fournir encore une authentique ontologie (études de ce que sont les choses en elles-mêmes, par opposition à la seule considération de leurs apparences ou de leurs attributs séparés).

La science classique favorise une vision de séparabilité de la Nature or il semble qu’on doive se diriger vers l’idée d’une certaine globalité, une certaine interdépendance de tous les éléments de l’univers mais qui est fantomatique. La réalité ultime serait Une et indivisible, la division (en terme d’objets) observée serait introduite par les limites de notre sensibilité. La physique quantique ne nous décrit donc pas la réalité en elle-même mais l’ensemble de notre expérience humaine de celle-ci, son contenu dépend de notre condition d’humain.

Ce dont on peut être certain aujourd’hui c’est que toutes les choses qui existent ne sont pas seulement des combinaisons de corpuscules (électrons, neutrinos, photons et quarks). Il y a autre chose… qui ne s’ajoute pas mais qui est à la fois source et étoffe suprême de tout, mais quoi ?

Les règles scientifiques de prédiction d’observations grâce aux mathématiques marchent fantastiquement bien, la précision va parfois jusqu’à la septième décimale ! Ça ne peut donc pas être un miracle, il y a une cause générale qu’on ignore, qui n’est pas pour l’instant conceptualisable. Le réel reste voilé.

D’après un exposé «Physique contemporaine et intelligibilité du monde» de Bernard d’Espagnat, astrophysicien, membre de l’Institut à Paris.


27 novembre 2005

Aristote (né en 384 avant J-C) disait déjà : «Dans la nature une sorte d’art est à l’œuvre, une sorte de capacité technique orientée qui travaille la matière du dedans, la forme s’empare de la matière, elle refoule l’indétermination».

La science confirme que les quatre forces de la nature (la gravité, la force électromagnétique, la force nucléaire et la force faible) ont très exactement les propriétés requises pour l’éclosion de la vie. Dès les premiers moments de l’univers la matière (électrons et quarks) et les conditions ambiantes possédaient la capacité technique de faire apparaître la vie. Il existe une sorte de levain cosmique qui utilise toutes les potentialités des forces de la nature pour organiser la matière de façon à la faire bourgeonner. Ce levain cosmique se trouve jusque dans la plus petite particule qui nous compose.
Nous participons donc à notre échelle (très modeste) à la formidable odyssée de la complexité cosmique. Celle-ci constitue la trame du livre de l’astrophysicien Hubert Reeves : Oiseaux, merveilleux oiseaux (Collection Sciences Points). Un dialogue entre le ciel et la vie (en sous-titre). Une célébration de l’évolution créatrice jusqu’aux prouesses du cerveau humain et de certains animaux dont surtout les oiseaux...
La question est maintenant de savoir si ce ferment qui nous habite n’est pas trop puissant au point de nous mener à l’autodestruction. Le phénomène de «complexification» de notre intelligence ira-t-il assez vite que pour dribler le danger qui nous menace ? On peut en douter.

Hubert Reeves s’emploie à alerter les consciences à travers livres et conférences. Il souligne que sous l’effet de serre la dégradation des climats s’amplifiera et que nous subirons de plus en plus d’inondations, de tempêtes, de canicules... L’épuisement des ressources naturelles, le saccage des forêts primaires, la désertification, l’extinction des espèces animales et végétales promettent des jours sombres aux générations futures (nous avons davantage besoin des animaux et des plantes qu’eux de nous).
Il recommande de se tourner au plus vite vers les énergies propres : éolienne, solaire, géothermique… de vivre plus en harmonie avec la nature.
Hubert Reeves est aussi président de la ligue ROC pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs.

La plus grande partie de la population mondiale ne risque de prendre conscience des dégradations irréversibles occasionnées à notre planète que lorsque leur vie quotidienne en sera affectée : destruction de leur environnement et de leur habitat par des tempêtes anormales, climat insupportable, confinement chez soi pour air irrespirable, pénurie d’eau potable, etc. Les médias ont donc un rôle primordial à jouer : montrer les déprédations (pollution en tous genres et leurs conséquences, saccage des forêts primaires, les espèces disparues ou en voie de disparition, etc.) et faire des bilans réguliers avec des informations aussi rigoureuses que possible de l’état de « santé » de notre planète.


21 novembre 2005

Je ne sais pourquoi ce lundi matin, j’ai parcouru des yeux les avis nécrologiques du journal La Meuse alors qu’habituellement je les évite. Je ne suis pas un «mystique» mais j’ai pourtant eu la nette sensation que mon regard s’est trouvé comme «dirigé» sur l’annonce du décès de Monsieur Bernard Desfrère qui fut pendant trois ans mon professeur de peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Liège.

Il prit sa retraite en 1993, l’année où je terminai le cycle d’enseignement artistique supérieur et quittai moi aussi l’Académie. Je n’ai jamais eu l’occasion de le revoir. Je l’ai invité à mes premières expositions personnelles… d’après des renseignements donnés par des galeristes (description physique et certaines réflexions rapportées qui lui étaient propre), il serait passé discrètement à l’une ou l’autre d’entre-elles sans jamais dire qui il était.

Né en 1928, il avait participé dans sa jeunesse au mouvement Cobra dont la dernière exposition eut lieu à Liège en 1951. Sa dernière exposition (à ma connaissance) à Spa en 1993 démontrait qu’il était resté fidèle aux principes de ce mouvement qui préconisait après les vagues intellectualistes du surréalisme, de l’abstraction géométrique, etc. un retour à une peinture vivante, spontanée, instinctive, libérée de tout formalisme.

Je me souviens d’une peinture aux couleurs onctueuses, franches mais subtiles, prenant comme thème la figure humaine dans une veine expressive et simplifiée à la limite de l’identifiable. Sa peinture voguant entre abstraction et figuration avait gardé par son contenu et sa manière ce caractère rebelle aux conventions esthétiques propre à Cobra.

La peinture ne nourrissant pas son homme, il m’a dit avoir travaillé - avant d’être professeur – en qualité de graphiste à la brasserie Jupiler, ce qui lui a donné le privilège de créer le logo de cette marque de bière, le fameux taureau cabré qu’on trouve sur ses verres et dont on a pris le niveau de «l’appareil reproducteur» comme repère au début d’un col de mousse idéal !

Le professeur était affable, ouvert, avisé. Il arrivait silencieusement dans le dos de l’élève au travail, analysait, clignait des yeux puis émettait ses remarques d’abord sur le sujet et la composition puis sur les couleurs et leur harmonie – sa spécialité.
Je les ai gardé en mémoire et elles résonnent encore souvent dans le silence de mon atelier : élargis ta gamme de gris colorés, augmente ton vocabulaire de couleurs, fais plus de mélanges, fais attention aux blancs crayeux, évite les jaunes et les verts qui mal harmonisés sont acides et grinçants, joue des tonalités, des couleurs dans la même couleur, prends garde à la lourdeur des ocres et des terres, varie tes empâtements, etc.

Si j’avais dû être professeur, j’aurais voulu l’être comme lui, humble et sans prétention avec la passion de la matière enseignée et l’envie de la communiquer.
Hélas, ce type de professeur est trop rare…


16 novembre 2005

Le Vif L’Express a réuni pour sa rubrique Débat du n°2834 quatre grands spécialistes de l’économie de marché (Jean-Luc Gréau - ancien expert du patronat, Patrick Artus - directeur des études économiques à la Caisse des Dépôts, Jean Peyrelevade - ancien patron du crédit lyonnais et Elie Cohen – écrivain) pour discuter de l’avenir du capitalisme.

J’ai tenté une petite synthèse de ce débat tant on sait l’importance du système économique, producteur de richesses et du sacro-saint «argent», omniprésent dans notre société, conditionnant la vie sociale, politique, culturelle, familiale, personnelle… c’est-à-dire presque tout sauf l’amour et encore…

Il faut admettre que l’argent fait le bonheur de la majorité des gens, il n’y a que ceux qui en ont à suffisance qui prétendent le contraire. Au petit nombre de ceux qui peuvent s’en passer (non sans dommages et séquelles) on ne compte que les poètes…

Ainsi donc le capitalisme irait mal, au point de s’autodétruire. En effet, l’exigence d’une rentabilité élevée de l’épargne et la gestion de celle-ci par des professionnels en concurrence privilégient les projets de court terme au détriment des projets de développement et de recherche. On va donc vers l’arrêt des projets nécessaires à la croissance à long terme.

Avant, le capitaliste était à la fois entrepreneur et propriétaire, son désir d’entreprendre était à l’origine de l’accumulation et de l’exploitation, aujourd’hui les propriétaires-actionnaires n’ont plus ce désir d’entreprise et sont anonymes.
Le fossé s’est creusé entre les membres de l’entreprise et les actionnaires, alors que les salariés voient encore dans l’entreprise leur «outil de production», les actionnaires voient un «outil de rendement». D’où le phénomène des rachats d’actions pour augmenter leur valeur ce qui est un subventionnement contre-nature des fonds de placement par les entreprises (puisqu’elles n’en font pas usage pour se développer).

Avant, le chef d’entreprise (le manager) était un salarié très bien payé - jusqu’à 40 fois le salaire le plus bas - chargé de la gestion de l’équilibre entre le capital et le travail. Aujourd’hui, gagnant jusqu’à 400 fois le salaire le plus bas (vous avez bien lu) il ne peut plus être considéré comme un salarié, puisque rémunéré avec les stock-options (options d'achat d'actions bénéficiant d'une fiscalité particulière, destinées principalement aux dirigeants d'entreprises), il évite - mieux que les actionnaires - le risque de moins-value. On comprend que le manager ne soit plus que le serviteur zélé de l’actionnaire, sur lequel ses intérêts son alignés.

On s’aperçoit que l’épargne canalisée vers des placements à rentabilité maximale afin d’assurer les retraites futures aboutit dans les actifs les moins efficaces pour préparer l’avenir, l’immobilier et les déficits publics, et de moins en moins dans le financement des entreprises. Même les fonds d’investissements sont à présent consacrés à 85% aux rachats d’actions avec des durées de détention très courtes.

Les hommes politiques croient que lorsque qu’on leur demande de réguler les marchés financiers (de produire une loi pour arrêter les patrons délinquants ou analystes et banquiers dissimulateurs), il s’agit de se doter d’instruments faisant prévaloir l’intérêt général sur celui des actionnaires or cette régulation est surtout nécessaire pour que la machine marche parfaitement à l’intérieur de son propre système de valeurs.

Pour réellement changer de perspective il faudrait : favoriser un allongement de la durée de détention des actions par des dispositions fiscales (pour l’harmoniser avec l’horizon de développement des entreprises), supprimer les stock-options et les distributions d’actions gratuites pour déconnecter la rémunération des patrons et des cadres supérieurs de tout élément boursier (mais en la liant au résultat réel de l’entreprise et non à son reflet boursier), créer des fonds de placement destinés à la détention durable du capital des entreprises par un mécanisme contractuel entre ces fonds (détenus par les actionnaires) et les entreprises.

Le problème est que les modèles nationaux sont morts et que le capitalisme se globalise autour des outils forgés aux Etats-Unis et à Londres. La puissance dominante impose son modèle (la moitié des actionnaires de la planète – 300 millions - et la moitié du capital mondial est détenu par les Américains). L’Europe en est réduite à attendre que ce modèle ne fonctionne plus dans l’intérêt du monde anglo-saxon et que celui-ci éprouve le besoin d’en changer.

On voit que ces spécialistes ne pensent qu’à une chose : faire perdurer le système, améliorer son rendement, accroître encore et toujours la production, les richesses… sans jamais se préoccuper un seul instant des effets pervers, des dégâts collatéraux de l’exploitation humaine et des ressources naturelles, comme si l’économie était autonome, autosuffisante, totalement indépendante du milieu sur lequel elle s’exerce. Quand ils demandent des règles c’est pour que la «machine» fonctionne mieux encore, qu’on puisse faire concurrence, surenchérir ...

Ces propos nous font prendre conscience que le libre échange ne pourra jamais être que timidement bridé dans sa folle chevauchée. Il apparaît évident que l’envolée du libéralisme est liée à la nature de l’homme, à sa soif de pouvoir, de possession, de domination… qu’aucune loi ou réglementation ne pourra jamais juguler cette pulsion à long terme, qu’elle se trouvera à chaque fois contestée, contournée, compressée…
Il est à craindre que seule une catastrophe écologique d’ampleur mondiale mettant en péril la survie de l’humanité puisse nous amener à repenser notre système économique et notre mode de vie.

L’argent ne perdra de sa valeur que lorsque l’air et l’eau seront devenus plus précieux que lui.


9 novembre 2005

J’épingle quelques propos de Jacques Lemaire (président de « La pensée et les hommes ») dans La Carte Blanche du journal Le Soir de ce jour :

«La laïcité repose sur une foi mais dépourvue de transcendance : une foi en l’homme, une confiance dans les meilleures potentialités de la nature humaine, une conviction à l’égard de la dignité de tous les individus (quelles que soient leur appartenances philosophiques, raciales, nationales, sexuelles, etc.).
Contrairement aux religions lesquelles élèvent des obstacles, dictent des lignes de conduite, formulent des proscriptions et prononcent des condamnations, la laïcité propose une philosophie de la libération, une liberté de penser par soi-même, de construire sa propre existence, de s’épanouir dans le respect des règles, en vue du bien commun.
Elle ne se réfère à aucun dogme, elle n’invoque aucun interdit, elle ne promet aucune récompense, elle ne délivre pas de certificat de bonne conduite avec un billet d’entrée pour l’éternité paradisiaque, elle n’impose aucune contrainte aux caractères faibles et irrésolus.
Elle propose de considérer la défense de l’autonomie et du bonheur de l’homme, l’indépendance d’esprit et la tolérance comme les biens les plus précieux à préserver (dans la lignée philosophique de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen).
»

Saines et belles paroles qui ne peuvent malheureusement rencontrer l’adhésion que de personnes suffisamment instruites, déterminées (capables de donner un sens à leur vie, limité à sa durée…), et bénéficiant d’une sécurité matérielle pour elles-mêmes et pour leurs familles. La difficulté (psychique ou matérielle) à vivre invite à la piété. La foi est un tuteur mental dont le monde n’est pas encore prêt de pouvoir se passer.

Remarquons que la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen dans son article 10, accepte les «opinions religieuses» (pour autant qu’elles ne troublent pas l’ordre public) ce qui est déjà de trop lorsqu’on est laïc, car une opinion s’exprime au travers dogmes, ligne de conduite… il aurait plutôt mieux valu parler de « convictions » intimes… qu’on garde pour soi sans lien aucun avec les diktats du magistère de l'église.


4 novembre 2005

J’entrevois au journal télévisé Hugo Chavez, le président vénézuélien, haranguant la foule à Mar del Plata en Argentine. Il s’oppose violemment à la zone de libre échange des Amériques (ZLEA) promue par Washington et Georges Bush.

Je l’entends user d’un argument « altermondialiste » imparable : le libéralisme épuise les ressources de la planète et nous n’avons pas de planète de rechange...

Si le libre-échange augmente la production et le PIB de certains pays d’Amérique latine, il n’en diminue pas moins la pauvreté. Le président Chavez préférerait une « Alliance » contre la pauvreté (une idée lancée par John F. Kennedy dans les années soixante), il déclare : "L'Alliance pour le progrès était une initiative respectable avec 20 milliards de dollars sur 20 ans pour lutter contre la pauvreté et pour la réforme agraire" mais il porterait aujourd’hui la somme à 100 milliards de dollars. Il estime que ce serait beaucoup mieux "que de proposer un libre-échange assassin, qui a fait augmenter le nombre de pauvres en Amérique latine de 50 millions à 220 millions actuellement".

Peut-être…dans un premier temps, si l’argent est suivi et va vraiment aux pauvres et aux agriculteurs... mais difficile de croire que des pays tels que le Brésil, l'Argentine, le Paraguay, l'Uruguay et le Vénézuela (le Mercosur: marché commun sud-américain) puissent échapper longtemps au libre-échange.

Diego Maradona – qui n’est pas le dernier à avoir profité du libre-échange – invité par Chavez fait une apparition à la tribune et ne trouve rien d’autre à dire que : " Je vous aime… ".


29 octobre 2005

Le report de la prépension conventionnelle de 58 à 60 ans par le gouvernement a rencontré une vive contestation vendredi (environ 75 mille manifestants qui ne sont que la partie visible de l’iceberg des «pas d’accord»), quoi de plus naturel en effet que de refuser le retrait d’un acquis social.

On a beau nous expliquer que le vieillissement de la population rend cette mesure impérative, il est difficile de croire que des erreurs persistantes n’ont pas été commises dans la gestion politique du temps de travail et des pensions dans le passé (manque de prudence, de vision d’avenir) pour que des «avancées» soient accordées puis retirées - jeu inadmissible puisqu’il crée une injustice entre ceux qui en ont profités et ceux qui ne le pourront pas. Cela fait plus de trente ans que l’on constate que notre population est vieillissante (que la durée de vie s’allonge et que les couples donnent naissance à moins de 2 enfants en moyenne)... Il y avait donc d’autres plans d’action à long terme à adopter.

Le progrès doit être une constante de notre société (et de l’humanité d’ailleurs), l’évolution technique participe du développement économique qui en finalité doit favoriser le progrès social. Et que voit-on ? Des managers d’entreprise poussés par leurs actionnaires et relayés par le politique, toujours prompts à prôner la compétitivité, la rentabilité par l’innovation qui perdent de suite cette vision progressiste lorsqu’il s’agit d’améliorer la qualité de vie du plus grand nombre. Ils n’admettent le recul (et l’impose même) qu’en matière de «bien-être général» confirmant ainsi une fois de plus que l’individu «moyen» est au service de l’économie et non l’inverse.

Ce mouvement de grève pour le moins logique et légitime est pourtant encore l’occasion de constater le manque de psychologie et de perspicacité des patrons (et de leurs organisations) qui ne trouvent rien de mieux que de brandir pertes sèches évidentes de dividendes (sinon à quoi rimerait une grève), menaces (de recours à la police, à la justice, de perte de compétitivité, de crédibilité…) et de s’abaisser au chantage (à l’emploi futur éventuel.)

Démonstration est faite s’il en était encore besoin que les patrons et les ministres qui s’expriment à l’encontre d’une telle manifestation ne comprennent pas les réalités moroses du monde du «travail».
Se rendent-ils compte que, pour la plupart des gens, le «travail» n’est qu’une activité obligée pour assurer la subsistance ? Qu’ils sont mis à rude épreuve physique, nerveuse ou psychologique, qu’ils sont soumis à des consignes strictes, des impératifs de rentabilité, qu’ils doivent fournir un travail répétitif, abrutissant, sans perspective d’évolution (de fonction et de salaire), qu’ils sont manipulés, simples outils de production soumis à l’humeur des grands et des petits chefs… et qu’ils n’attendent qu’une chose : en finir au plus vite avec cette activité qui leur mange la santé physique et mentale et pour tout dire la vie…

Il en va évidemment tout autrement lorsqu’on est impliqué directement dans le projet de développement de son entreprise, dans sa fructification et qu’on peut jouir directement mentalement et financièrement de sa prospérité - qu’on a en outre le plaisir de diriger, de jouir d’une considération de façade de ses employés, ou quand on fait de sa carrière politique et de l’attribution des plus hautes fonctions sa raison de vivre qui donnent par ailleurs accès aux mêmes plaisirs…
Ceux-là pensent certainement se trouver dans une société idéale, ils «travailleraient» sans compter jusqu’au dernier souffle, ils ne peuvent pas comprendre que tout le monde ne pense pas comme eux parce qu’ils n’ont pas compris le capitalisme. Le capitalisme qui est fait d’une majorité de «travailleurs» qui subsistent et de quelques «jouailleurs» qui jouent et jouissent.


19 octobre 2005

J’ai assisté hier soir à une rencontre-lecture avec l’écrivain-poète Eugène Savitzkaya dans le très beau cadre de la librairie Pax dont l’aménagement et la manière de présenter les livres me rappellent les librairies du quartier mythique de Saint-Germain-des-Prés (sanctuaire de la littérature) à Paris.

Une trentaine de sièges ont été disposés devant la petite table ronde où se tiendront l’animateur et son invité. Je fais le tour des présentoirs et achète un livre (La télévision) de l’invité… de la semaine prochaine : Jean-Philippe Toussaint . Lorsque je reviens dans l’espace-rencontre le ténébreux poète est là, il échange quelques regards discrets avec l’assistance encore clairsemée, semble chercher un visage connu - il a déjà dû me voir quelque part... Le public se fait attendre, serait-ce lui la vedette... ? Eugène Savitzkaya me semble un peu gêné de se trouver ainsi « exposé », il ne tarde d’ailleurs pas à se lever pour aller attendre à côté…

Le poète revient à la table avec un autre : Jacques Izoard qui a le rôle de l’animateur de l’entrevue. Je crois que ces deux là sont de vieux complices...
La responsable de la librairie présente rapidement l’écrivain (rappelle qu’il a écrit son premier livre en 1972) puis en vient au nouveau roman qui vient de paraître et qui a motivé cette rencontre avec le public : Fou trop poli.
Le livre revient essentiellement sur le passé de l’auteur, son enfance, sa jeunesse… une forme de bilan à l’occasion de ses cinquante ans qu’il vient de fêter ? La libraire y aurait vu un soupçon d’engagement, mais elle reste très loin d’en faire un écrivain engagé. Elle trouve que ce livre est le plus abouti de tous ceux qu’il a écrit, l’auteur ne semble pas contester… Elle dit un mot des éditions de Minuit où il est publié et qui favorise la «littérature de création ».

Jacques Izoard nous dit que le milieu littéraire parle (déjà) d’atmosphère « savitzkayenne », ce qui est bon signe… Il compare le livre à une pieuvre ou aux stolons du fraisier (tiges qui courent à la surface du sol et s'enracinent de place en place pour produire de nouveaux pieds par marcottage naturel). Savitzkaya ne se contente pas d’une seule proposition d’écriture, son livre est une sorte de collage de textes nouveaux et plus anciens, réutilisés… et d’expliquer que pour lui le roman est un genre tout à fait libre qu’on peut employer différentes techniques, que cela peut être un grand brassage (ou l’on peut trouver de tout, même des extraits d’articles du dictionnaire). Izoard dit qu’on y sent en tout cas son amour des mots, que son langage est parfois oulipien (mouvement dont faisait partie Perec notamment), un pur jeu de mots…
Il aime utiliser des mots oubliés pour leur redonner un peu de fraîcheur comme « eumolpe » par exemple (qu’on ne trouve pas au dictionnaire) et qui était un prêtre qui célébrait le culte de Déméter (la déesse grecque de la terre cultivée). On s’étend encore sur les « eumolpides » qui étaient des rites de fécondité au moment des moissons…

L’auteur lit lui-même certains passages, exercice périlleux car la manière de lire peut révéler son interprétation du texte… mais la lecture est grave, articulée et solennelle ne donnant aucun indice...
Un parallèle avec Edmond Jabès écrivain juif égyptien est établi.
Son livre serait léger, une déambulation ironique et savoureuse. L’auteur dit devoir s’amuser avec l’écriture, se trouvant dans l’obligation de trouver l’énergie maximum à chaque instant, il garde constamment à l’esprit qu’il doit surprendre le lecteur, lui concocter des « bonnes blagues » et il attend de lui qu’il se laisse emporter, qu’il s’ouvre à la fantaisie. La littérature est un jeu formidable, dit-il.

L’enfance passée dans les faubourgs de Liège revient constamment, né d’une maman russe et d’un père polonais, il vit en permanence avec leurs présences et continuent à les aimer « vivants ». Il lit encore un passage où il est question de lieux d’aisance au fond d’une cour, de potagers cultivés par des voisins émigrés eux aussi… un autre où il s’attaque aux marchands d’armes, au militarisme. Mais il avoue que le pouvoir des mots est bien fragile face aux puissants, à ceux qui nous manipulent…
Il est fait allusion (seulement par les prénoms) à des gens qu’il a connu : Jacques qui serait Jacques Lizène (le petit maître liégeois de la médiocrité), un certain Hervé qui serait Hervé Guibert (mais il ne veut pas le confirmer…), etc.

Izoard nous apprend que tout comme dans ses livres, l’auteur se distingue dans la vie par une certaine singularité. Il donne deux exemples : il s’est fait réformé de l’armée pour folie, il a traversé le lac Enol (un lac de montagne dans les Asturies) à la nage parce qu’il aime bien l’eau froide…
Lorsqu’on lui demande quels sont les écrivains qu’il préfère et quelles sont les relations avec ses collèges des éditions de Minuit, il cite Samuel Beckett, Claude Simon, Tony Duvert, et surtout Roger Pinget. Pour ce qui est des relations, Il a croisé Beckett dans l’escalier du n’7 rue Bernard Palissy il y a 25 ans et il a rencontré Eric Chevillard pour la première fois la semaine passée...

On aura compris que l’écrivain ne cherche pas le contact, qu’il est plutôt discret, réservé et taciturne, concis dans ses réponses. Une intervenante qui a participé à une rencontre il y a une semaine dans un autre lieu avec un autre animateur est revenue l’écouter pensant qu’il serait peut-être plus loquace, une autre (professeur de français) dit que le courant passe beaucoup mieux avec les jeunes en classe…
L’écriture ne va pas forcément de paire avec la rhétorique, elle lui est même plutôt antagoniste sauf pour ceux dont le métier est aussi de parler en public (conférenciers, professeurs…) tel Jacques Izoard...
Inutile donc de chercher autre chose que ce qu’il y a dans les livres de ce prodigieux jongleur de mots, le meilleur s’y trouve.

Pour ma part ce qui m’a amené à cette rencontre c’est justement la discrétion de l’écrivain (sinon son mystère) et des correspondances de lieux et de circonstances avec ma propre vie.
J’ai dû entendre vaguement son nom pour la première fois il y a une dizaine d’années lors des "journées de la poésie", mais c'est Hervé Guibert qui a vraiment attiré mon attention sur lui lors d'une interview, puis une biographie sortie après sa disparition dans laquelle un chapitre était consacré à celui qu'il considérait comme un «frère d’écriture».
J’ai dès lors acheté Mongolie plaine sale, livre dans lequel j’apprends qu’Eugène Savitzkaya a vécu son enfance à quelques centaines de mètres de chez moi à Saint-Nicolas, dans une maison comparable à celle de mon enfance (avec w.c. dans la cour…), que son père a travaillé dans les charbonnages comme le mien… qu’après avoir déménagé à la campagne il est revenu habiter en ville dans une rue que j’emprunte encore tous les matins…
Un souvenir de vacances est en outre lié à ces deux talents littéraires puisqu’en 1999 j’ai fait étape sur l’île d’Elbe, et que je me suis rendu à Rio nell’Elba et à l’ermitage Santa Caterina où ils ont séjourné. Hervé Guibert repose au cimetière du village.


17 octobre 2005

L’opération «Itinéraire d’artistes 2005» est terminée (pour moi), elle se prolonge cependant le week-end prochain puisque cette édition a été répartie sur deux week-end en raison du grand nombre d’atelier ouvert au public cette année (57 !). L’organisation les a répartis suivant leur situation géographique.

J’ai reçu environ 70 personnes sur ces deux jours. Si le bilan est globalement positif je le dois surtout aux invitations personnelles que j’ai envoyées. Une dizaine de personnes seulement sont venues dans le cadre du parcours ce qui est peu, il faut dire que mon atelier est situé à la périphérie de la ville (d’ailleurs en-dehors des plans de situation présentés dans le catalogue et le petit journal).

J’ai essayé de recueillir un maximum d’impressions des visiteurs. Le fait d’avoir présenté les différentes étapes de mon travail semble les avoir intéressé, les préférences sont assez partagées bien qu’il me semble que ma démarche actuelle emporte de (justesse) les suffrages, ce qui est réconfortant... Elle serait plus « contemporaine »… Les travaux en matière rencontrent toujours beaucoup de succès mais ils seraient moins inédits (depuis Tapiès… beaucoup d’artistes ont travaillé la matière). Mes peintures sur l’apparence humaine posent toujours la même question : pourquoi mes personnages n’ont-ils pas de visages ? Parce qu’ils veulent signifier que l’être humain ne se limite pas à son apparence extérieure, que l’attitude, l’habillement et le corps ne constituent qu’une enveloppe extérieure... L’absence de visage c’est l’intériorité mise en valeur.

Dans quel courant mes peintures peuvent-elles s’inscrire ? Aucun de préférence… surtout pour ma peinture actuelle... Il n’y a plus vraiment de courants en peinture même si certains ont vu dans mes précédentes démarches du « néo-fauvisme » et du « matiérisme » mais ça n’a pas de sens…

Au rayon des commentaires amusants (émanant de personnes différentes) :

- Si vous pouvez présenter vos différentes étapes c’est que, malheureusement pour vous, vous avez des invendus… (je ne peins pas pour vendre, si c’était le cas je ferais autre chose.)
- Dans votre dernière période, je vois un rapprochement avec la peinture de S* (un peintre connu à la ville), je ne sais pas lequel des deux doit à l’autre mais… » (Si ce n’est les aplats de couleurs - et personne n’en a le monopole…- je ne vois aucun rapprochement, ni dans la démarche ni dans l’expression. Sa peinture est abstraite or la mienne est réaliste ou en tout cas se fonde sur un élément du réel qui reste toujours lisible, il n’y a pas non plus de correspondance de couleur, de facture -j’utilise aussi fréquemment le dégradé ou la touche spontanée, je ne me contrains d’ailleurs à aucune restriction pour garder un style « signalétique »).
- Oui… mais sa peinture n’est pas totalement abstraite, si vous regardez bien il y a toujours une vulve de femme représentée dans un coin de la toile…
- Vous êtes professionnel ? (Non.)
- Parce que S*, il l’est lui et il en vit même très bien...
- C’est ici que vous travaillez ? Parce qu’en général un atelier c’est plus sale… en tout cas c’est bien éclairé, ça fait galerie…
- Mon rédacteur en chef m’a demandé des photos pour illustrer l’article qu’il va faire sur la manifestation. Quand il m’a appelé je n’avais que le carton d’invitation du vernissage (où ne figuraient que les noms des artistes), je vous dis franchement que je vous ai téléphoné hier soir parce qu’avec votre nom qui n’est pas commun j’étais presque certain de ne pas devoir donner plusieurs coups de fil avant tomber sur l’artiste... Je vous suggère de prendre une de vos peintures de vos démarches précédentes sur les bras et de vous placer devant l’une de vos dernières toiles pour montrer l’évolution…
- Votre phrase-là (celle que j’avais écrite sur mon ardoise à l’entrée de l’atelier parce qu’elle me semblait bien éclairer mes dernières recherches picturales : Seul le peintre peut lever le voile du réel, nous révéler ses dimensions cachées… ) convient tout à fait à vos travaux en matière…


7 octobre 2005

Le Science et Vie du mois (d’octobre n°1057) titre: Le monde existe-t-il vraiment ? De plus en plus de physiciens en doutent… Et si tout n’était qu’une hallucination ?…Temps, Espace… des notions à réinventer… La réalité ne dépasse plus seulement la fiction, elle tendrait à se confondre avec elle. L’art quant à lui devancerait la science puisque de plus en plus souvent l’intuition – impulsion motrice de l’art - se trouve confirmée par la démonstration rationnelle et l’expérience scientifique.

L’article «phare» du mois nous explique que ce que nous prenons pour la réalité n’est en fait que l’information que nous avons sur elle. Notre monde ne serait qu’une hallucination informationnelle. On s’est en effet aperçu que lorsqu’on observe de très près la lumière, les atomes ou les électrons c’est-à-dire les composants de notre réalité, ceux-ci se comportent tantôt comme des particules tantôt comme une onde, ils sont insaisissables.
On a cependant réussi à les représenter par un concept algébrique : le vecteur d’état dans un espace de Hilbert qui leur permet d’être relié entre-eux par delà l’espace et le temps, de se mettre dans plusieurs états à la fois et de se réduire aléatoirement en un seul lorsqu’on tente de les observer, suivant des lois de probabilités très précises… La théorie la plus aboutie de la physique pour décrire la matière est donc très éloignée de nos concepts classiques. On tente depuis Niels Bohr – fondateur de la physique moderne (quantique) - de reconstruire une image du monde réel explicable.

La « théorie quantique de l’information » a la cote. L’information quantique ne serait plus une application de la théorie mais son fondement.
Nous n’avons en effet accès au monde que par nos cinq sens qui sont plutôt pauvres et réducteurs (les philosophes de Démocrite à kant nous ont avertis du voile qui nous sépare de la réalité). Il nous manquerait somme toute un ou plusieurs sens pour tout comprendre.

Si un système semble se trouver dans plusieurs états à la fois, c’est parce que les informations disponibles ne permettent pas de savoir plus précisément dans quel état il se trouve.
Si une mesure fait s’effondrer le système en un seul état, c’est parce que la nouvelle information obtenue a fait évoluer notre connaissance.
Si deux systèmes peuvent être corrélés à travers l’espace et le temps, c’est parce que ce qu’on apprend sur l’un nous renseigne aussitôt sur l’autre.
Si le hasard intervient, c’est parce qu’il est l’expression d’un manque d’informations qui nous oblige à nous en remettre au hasard pour répondre à la question qui nous intéresse.

Le temps serait la marque de notre incapacité à suivre les détails, il dépendrait des capacités de traitement de l’information de l’observateur, ce qui permettrait de conclure que le temps, c’est l’ignorance.

La réconciliation de la mécanique quantique et de la relativité générale se fera sans doute à la faveur d’une théorie gravitant autour de la notion d’information. Celle qui se profile visera à décrire l’acharnement de notre cerveau - enfermé dans sa boîte crânienne - à comprendre ce monde plutôt que le monde lui-même. Elle redéfinira la condition humaine plutôt que le monde extérieur.


3 octobre 2005

J’espérais observer au télescope l’éclipse partielle (60 %) du soleil ce matin, malheureusement le ciel était couvert sur cette partie du pays. La ligne de centralité passait par le sud-ouest de l’Europe c’est-à-dire sur l’Espagne et notamment Madrid.

Il s’agissait cette fois d’une éclipse annulaire contrairement à celle du 11 août 1999 qui était totale (j’avais vécu ce phénomène extraordinaire dans la campagne rémoise). En effet, la lune se trouve actuellement à 397.700 km (sa distance sur son orbite elliptique oscille entre 357.000 km et 407.000 km), trop loin pour que sa taille apparente occulte complètement le disque solaire, offrant ainsi la vision (sur une bande de 200 km de large seulement) d’un anneau de feu durant les quelques minutes où elle s’aligne parfaitement avec le soleil .

La télévision espagnole a retransmis ce phénomène naturel en direct d’un bout à l’autre en lumière blanche (c’est-à-dire filmé derrière un filtre solaire en verre métallisé), un astrophysicien le commentant et donnant des explications de mécanique céleste.
Les producteurs ont eu la bonne idée d’associer ce rendez-vous céleste au don d’organes, l’émission étant émaillée d’interviews de donneurs et de receveurs réunis dans la même chambre d’hôpital.

L’éclipse du soleil nous fait prendre conscience de notre fragilité (cosmique) d’être humain. Elle nous rappelle que nous sommes tous embarqués sur le même vaisseau spatial qui est mû par des forces que nous commençons peut-être à comprendre mais dont nous ignorons la source et la destinée… Notre humanité et notre solidarité devraient en être fortifiées.


26 septembre 2005

Tous les journaux titrent sur la victoire de Tom Boonen au championnat du monde de cyclisme sur route hier à Madrid, parmi les nombreux commentaires à son sujet on apprend qu’il cherche instamment un appartement à Monaco – heureuse illustration de mon texte d’hier (ci-dessus)…

Il s’en va rejoindre ses déjà nombreux consoeurs belges (Axel Merckx, Justine Henin, Thierry Boutsen… ) qui ont gagné le droit d’accroître encore un peu plus leur fortune en éludant l’impôt (argent destiné - rappelons le - à être redistribué pour le bien-être de la communauté…). Mais on ne peut leur en vouloir puisqu’ils profitent légalement de la possibilité qui leur est offerte.

La principauté de Monaco fait partie avec Andorre, le Lichtenstein, la Suisse, le Luxembourg, Malte, la Russie, l’Ukraine, Gibraltar, l’Irlande, la City de Londres, les îles de Man, Jersey et Guernesey, des paradis bancaires et fiscaux du continent européen. Ils permettent tous à différents degrés et suivant certaines spécialisations de dissimuler l’identité des détenteurs de capitaux pour les soustraire au fisc. Associés aux autres places off shore («loin du rivage») du reste du monde (Bermudes, îles Caïman, etc.) elles hébergent un montant de capitaux équivalent au P.I.B. des Etats-Unis. Toutes les grandes banques y ont au moins une succursale, une filiale ou une agence pour effectuer des opérations financières qui ne seraient pas réalisables dans leur pays d'origine. On y dénombre deux millions quatre cent mille sociétés écrans ! Mais il y a plus grave puisque certains de ces territoires favorisent le blanchiment d’argent des mafias et des réseaux terroristes…
La communauté internationale ne semble pas trop s’en émouvoir (malgré le 11 septembre) à voir la timidité de son combat contre ces places financières.

Les paradis fiscaux sont la preuve que l’argent permet de déroger aux lois et règlements, difficile dès lors de convaincre les moins nantis de la nécessité de justice et de morale. Ils sont une incitation à la fraude généralisée…


25 septembre 2005

On me demande de faire une critique de la société et de donner ma vision d’un monde parfait en une page ! Je m’y essaye… :

La critique majeure que l’on puisse faire de notre société est qu’elle ne s’inquiète pas (ou trop peu) de préserver notre planète, elle oublie qu’elle n’en est pas propriétaire mais juste la gardienne momentanée. Le devoir d’une société évoluée (civilisée) est de transmettre aux générations futures un monde viable.

Notre société occidentale (l’Europe et les Etats-Unis) a instauré et imposé au reste du monde une économie libérale dont le principe est de produire et de consommer sans compter pour ne cesser de s’enrichir. Cet enrichissement se fait aux dépens de la nature qui est surexploitée et ne pourra fournir indéfiniment des matières premières et surtout absorber les déchets de la consommation. Lorsque toutes les ressources naturelles seront épuisées, lorsque l’air sera irrespirable, lorsque l’eau potable sera devenue très rare et sans doute très chère, lorsque l’exposition au soleil sera devenue dangereuse à cause de la disparition de la couche d’ozone… tous les autres aspects de la vie en société deviendront superflus car c’est notre survie même qui sera remise en cause.

Notre système économique a certainement permis d’élever le niveau de vie global de la société ces dernières décennies mais au prix du sacrifice du milieu naturel et d’un trop grand nombre de ses membres qui ne peuvent y trouver leur place, il suffit de voir les chiffres du chômage et le nombre de SDF dans nos rues.
Il génère en outre une majorité d’emplois pénibles et mal payés où les personnes exploitées sont dans l’impossibilité de s’épanouir car la rentabilité et les bénéfices priment sur tout - le malaise se ressent dans la population avec des maladies nerveuses (dépression, stress, insomnie, etc.) de plus en plus répandues.
Le système comporte des effets pervers entraînant des iniquités : plus les capitaux détenus sont élevés plus ils rapportent de bénéfices - ce qui rend les riches toujours plus riches sans rien faire, alors que les pauvres ne peuvent sortir de leur condition même en travaillant dur toute leur vie, l’évitement légal de l’impôt sur les personnes ou les sociétés (ce qui provoque une concurrence illégale) en s’installant dans les paradis fiscaux, les mouvements d’argent qui rapportent gros sans être taxés alors que le travail productif l’est...
En outre notre société se préoccupe trop peu des pays sous-développés (de la misère dans le monde). Elle n’a pas le droit moral de vivre repliée sur elle-même dans l’opulence (pour certains) alors que les deux tiers de la planète meurent de faim.

Le monde ne sera jamais parfait mais il est du devoir de notre société de chercher à le rendre meilleur.
L’économie libérale semble s’être imposée dans l’histoire parce qu’elle est la plus adaptée à la nature humaine qui est individualiste et égoïste.
Ce libéralisme demande donc à être limité et contrôlé constamment pour empêcher les abus touchant à l’environnement et les injustices sociales (qui tendent à croître).
Une allocation minimale universelle attribuée à tous les êtres humains sans conditions (nationalité, domicile, etc.) dès leur naissance devrait sérieusement être envisagée pour assurer à chacun au moins le minimum vital.

Notre économie devra s’inscrire au plus vite dans le rythme de recyclage de la nature ce qui suppose un changement radical d’attitude et de mode de vie à court terme sans quoi les dégâts occasionnés à la planète risquent d’être irrémédiables.
On pourrait rêver avec une communauté d’être humain cherchant à vivre en harmonie avec la nature au déclin du règne de l’argent.


18 septembre 2005

Les démocrates-chrétiens se sont imposés aux législatives en Allemagne (face aux sociaux-démocrates de Gerhard Schröder) permettant ainsi à Angela Merkel de devenir la première chancelière de l’Allemagne fédérale.

Cette élection signifie la fin du « modèle allemand », car ce pays sera dirigé dorénavant par un chef d’état ultralibéral (un de plus) qui a déjà annoncé son intention de renoncer à la progressivité de l’impôt (en vigueur en France et en Belgique) ce qui veut dire que désormais un taux d’imposition unique de 25% sera instauré quel que soit le revenu du contribuable. Le PDG et sa secrétaire seront donc traités de la même manière du point de vue fiscal.

Une preuve de plus que les mécanismes de l’économie libérale nous entraîne vers une injustice sociale croissante.

PS : les démocrates-chrétiens associés aux libéraux forment «la droite» et les sociaux-chrétiens associés aux Verts forment «la gauche» en Allemagne.


3 septembre 2005

Mme Marie Guérisse me pose quelques questions à l’occasion d’Itinéraire d’Artistes 2005 :

- Comment concevez-vous concrètement le fait de rendre visible les différentes étapes de votre démarche? (séries, du moins travaillé à l'oeuvre finie? atelier "tel quel"? dessins préparatoires? travail devant le public?... )

- J’envisage de rendre visible les différentes étapes de ma démarche à long terme c’est-à-dire de mon parcours pictural depuis 20 ans environ (travaux de l’Académie des Beaux-Arts de Liège compris).
Je conçois la peinture comme une recherche continue - l’ajustement renouvelé de l’expression avec son intériorité - et non comme une recette qu’on exploite toute sa vie. Il me semble qu’elle doit se ressentir de l’évolution personnelle du peintre et même de certains états d’esprit passagers.
Je conçois difficilement que l’on puisse peindre de la même manière tout au long de son existence en restant en accord avec soi-même.

Je présenterai sans doute des œuvres variées, réalistes, semi figuratives et abstraites réalisées à différentes périodes et dans des techniques différentes : huiles, acryliques, matières (plâtre, sable…) mais avec une prédominance de ma peinture actuelle. J’expliquerai à la demande les étapes (simples) de mon travail sans pour autant me mettre à l’œuvre…

L’atelier sera plutôt dégagé, car il me semble que la présentation des œuvres a de l’importance pour communiquer ce dont elles sont chargées (bonne hauteur de vue, abords dégagés, éclairage correct, etc.).

- Comment ressentez-vous le fait de montrer l'inachevé, l'incomplet, l'imparfait, l'oeuvre en chantier?

- J’éprouve en général une réticence à montrer une œuvre inachevée ou en chantier. Les ébauches ne sont pas en mesure d’exprimer encore ce que l’on souhaite ou ressent, elles « n’appartiennent pas » encore à l’artiste.
Le point de vue de la réalisation technique intéresse souvent le public, c’est bon signe, c’est qu’il a d’abord été séduit par l’essentiel : le résultat.
Une partie du public pense peut-être qu’en maîtrisant la technique, la réalisation d’une œuvre comparable à celle qui l’intéresse est à la portée de chacun or la technique est secondaire et même anodine parfois.
L’essentiel est le besoin de s’exprimer de cette manière, c’est ce besoin obstiné qui fait l’artiste, la technique suit d’elle-même, naturellement.

- Cette thématique 2005 vous paraît-elle porteuse? Pensez-vous qu'elle aidera le public à comprendre? à désacraliser? autre?

- La thématique est intéressante à mon avis pour montrer que la peinture ne consiste pas à « trouver un style » sauf pour des raisons commerciales. Le parcours du peintre n’est pas une route rectiligne mais un chemin sinueux et plein d’imprévus. On ne sait jamais où l’on va lorsqu’on travaille sans contraintes (commerciales surtout).
Je ne pense pas que la thématique puisse aider à comprendre la peinture. Faut-il d’ailleurs chercher à la comprendre et à l’expliquer ? La peinture doit être avant tout ressentie, sa spécificité est l’indicible.
Mais si les commentaires sur les motivations ou les circonstances de la réalisation d’une peinture ajoutent au plaisir du spectateur il n’y a pas de raisons de s’en priver.
Si l’œuvre touche sincèrement le spectateur il n’y pas d’inconvénient à la sacralisation. Ce qu’il faut éviter c’est la sacralisation en raison du prix, de son appartenance (aux grands musées, aux collectionneurs célèbres, etc.), du statut de l’artiste, de sa renommée…

- Professionnellement et personnellement, que vous apporte la venue du public dans votre atelier?

- Je crois qu’on peint d’abord pour soi-même et puis pour les autres à différents degrés. On essaye d’atteindre un certain ravissement émotionnel et spirituel qu’on voudrait ensuite faire partager, il est dès lors intéressant pour l’artiste de juger de la manière dont sa production est perçue. A cette occasion il est d’ailleurs parfois mis au fait d’interprétations inattendues de son travail.
Il me semble que le public s’exprime plus facilement à l’atelier qu’en galerie (un lieu de sacralisation ?) et l’artiste aussi car il est plus en situation d’hôte qu’en galerie.

- Avez-vous une (ou plusieurs) anecdote à partager, concernant votre éventuelle expérience d'ouverture d'atelier?

- Pas d’anecdotes particulière sinon que cette ouverture d’atelier m’incite à parler beaucoup plus qu’à l’accoutumée ; d’un naturel un peu taciturne (je ne parle pas comme j’écris et peins) j’ai la sensation de parler en deux jours plus qu’en un mois.
J’en sors épuisé le dimanche soir…


29 août 2005

Fêter son anniversaire quand la jeunesse est déjà loin, c’est fêter une dégradation irrémédiable… L’événement nous rappelle au temps qui reste et invite à en réévaluer la valeur – à la hausse de préférence...

Cette réjouissance réelle ou factice conforte la philosophie pascalienne, quoi de plus significatif que cette célébration de principe, où l’on réunit ses amis, sa famille… où on se laisse aller à des libations, à quelques incartades… pour occulter le sort tragique auquel nous sommes promis et qui pourtant se rapproche inexorablement… Il semble que notre inconscient se surpasse pour réconforter notre conscience dans ce mirage annuel.

L’ironie devrait être de mise à cette occasion… mais c’est plutôt la recherche de la discrétion dans « le cap à passer » qui l’emporte lorsque l’on ne veut pas être dupe…

Jean d’Ormesson, 80 ans, fait mieux, il jouit du temps qu’il lui reste en pleurant… La Fête en larmes est son troisième livre sur le sujet (le 33ème tous sujets confondus) après Merci et au revoir et C’était bien.

Nostalgie, tristesse de devoir quitter tant de plaisirs, de réjouissances… Sa vie fut (d’après lui) une fête permanente, difficile à croire tout de même malgré la bonne humeur qu’il affiche et le talent d’écrivain reconnu que l’on sait. Il est vrai qu’il est né dans une famille d’aristocrate et n’a jamais eu à s’inquiéter d’assurer sa subsistance.
Pourrait-on en déduire que ceux qui ont eu des vies plus laborieuses ont moins de regret à partir ? Peut-être bien car ils auront sans doute eu moins l’opportunité de s’enquérir des beautés du monde et de la vie, donc moins de possibilités pour les apprécier et en jouir.

La métaphore culinaire est parlante, les premiers auront pu faire la fête en prenant le temps de déguster les plats les plus raffinés alors que les autres auront dû se contenter d’une cuisine commune et rapide.
On quitte plus à regret un trois étoiles qu’un «fast-food».



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