"Il faut que la peinture serve à autre chose qu'à la peinture", Henri Matisse.
Alain Zenthner
La rubrique «Journal» rassemble articles, réponses aux sollicitations, impressions, commentaires, et improvisations (à chaud) sur des faits vécus ou d’actualité.


20 décembre 2008

Les mines de la gent politique sont graves, elles s’offusquent sérieusement que la séparation des pouvoirs aurait pu être bafouée... De simples suspicions (puisque les preuves ne sont pas apportées) suffisantes pour que le gouvernement se démette... Quand on sait que la politique consiste surtout, à tous niveaux, en des luttes d’influence, des jeux de pressions ou de recommandations, des prêtés pour rendus, des nominations partisanes notamment de juges (jusqu’il y a encore quelques années), on a bien du mal à y croire et on suppose qu’il s’agit plutôt d’un prétexte qui cache d’autres raisons moins théoriques et honorables.

Les arguments «forcés» de la lettre du président de la Cour de cassation au président de la Chambre paraissent à ce point déterminants qu’on pourrait se demander, par retournement, s'ils ne sont pas justement le fruit de l’incidence de la particratie.

On pourrait, par exemple, soupçonner que le contenu de la missive serait la conséquence d’un désaveu du Premier ministre par une majorité de flamands qui considère sans doute qu’il a failli à la défense des intérêts de la Flandre en laissant tomber notamment les deux plus grandes banques belges dans l’escarcelle de la France, l’ennemi linguistique juré - devenant très encombrant aussi du point de vue économique.

On comptera aussi avec la fatigue de ce Premier ministre qu'on sent las de résister encore à cette nouvelle attaque. Même si la personne n’est visiblement pas taillée pour la fonction, l’accusation dont elle est victime est des plus blessantes puisqu’elle vise ses seules vraies qualités, son dévouement au travail et sa bonne foi (malheureusement souvent mal exprimée ou mal placée).

Si on s’émeut de la moindre relation entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, on peut s’étonner de l’impassibilité générale devant celle autrement plus efficiente entre les pouvoirs monarchique et exécutif. En effet, Le Roi nomme les informateurs et formateurs qui deviennent Premiers ministres (et donc chefs de gouvernement) sans autre droit que celui du sang ! Sans méjuger des capacités de médiateur du souverain, la procédure semble cavalière dans une démocratie moderne.


21 novembre 2008

Conférence hier soir aux HEC d’Etienne de Callataÿ, économiste en chef à la Banque Degroof. Il remplace au pied levé Guy Quaden, gouverneur de la Banque Nationale de Belgique qui s’est sans doute trouvé mal à l’aise de répondre à une invitation de l’Association pour une Taxation des Transactions financières pour l’Aide aux Citoyens (ATTAC).

Le sujet, «Les banques centrales, rôles et gestion de la crise» se trouvera de ce fait un peu biaisé. Le conférencier compare de suite la crise actuelle à une grande vaisselle à faire après un banquet mais avec le problème que toutes les personnes sollicitées n’ont pas participé à la ripaille…

Les effets de la crise financière se traduisent concrètement :
- par une amputation du capital privé, pertes de revenus pour les petits épargnants qui ont investi en actions pour alimenter leurs pensions complémentaires (par exemple).
- par une perte colossale au niveau du capital public (puisqu’on va creuser le déficit) avec des transferts de charges vers les années à venir ayant pour conséquence des augmentations d’impôts probables, des pensions, allocations et subventions bridées, des investissements moindres de l’Etat qui toucheront tout le monde d’une manière ou d’une autre (fragilisation de la sécurité sociale, limitation des moyens dans tous les domaines subventionnés).
- par une amputation du capital social, une confiance altérée pour longtemps qui va entraver les échanges, les transactions, etc. Des reports d’investissements privés qui vont se traduire par des pertes d’emplois et affecter surtout les gens les plus fragiles.

L’origine de la crise est évidemment le résultat d’un comportement cupide et de cette illusion qu’on pouvait continuer à gagner beaucoup d’argent sans travailler, sans produire du concret.

Il est rappelé que l’Etat est intervenu pour éviter la faillite totale des piliers de l’économie du pays qui aurait entraîné une situation plus grave encore avec des garanties limitées de récupérer ses avoirs bancaires (quels qu’ils soient), des mises au chômage de milliers de salariés...

On entend dire que les pouvoirs publics ne sont pas là pour offrir un filet de sauvetage à des banques privées qui privatisent les profits mais mutualisent les pertes. Ces organismes bancaires semblent pourtant s’être rendus indispensables puisque leur boycott même temporaire n’a jamais été envisagé un seul instant par la population... Si leur utilité est reconnue il ne reste plus à leurs clients qu’à faire pression sur les dirigeants européens pour qu’ils travaillent avec ténacité à établir une réglementation internationale stricte pour changer leur mode de fonctionnement et éviter à l’avenir ces escroqueries puisque ce qu’on appelle la « crise financière » - expression qui tend à rendre responsable les seuls aléas de la conjoncture - équivaut à un vol pur et simple du patrimoine public et privé qui restera impuni.

Il conviendrait donc entre autres :
- de supprimer les paradis fiscaux (où 2/3 des hedge funds sont situés) et dans un premier temps exclure du soutien de l’Etat les banques qui y ont leur siège (ou qui gardent des liens avec ces territoires)
- de scinder les banques commerciales et d’investissements
- de faire accepter qu’une banque qui est trop grande pour faire faillite est aussi trop grande pour rester aux mains du secteur privé
- d’en finir avec une banque centrale européenne qui n’accepte aucun contrôle politique mais qui accepte l’argent de l’Etat pour la sauver.
- d’interdire les produits complexes et dérivés non clairement identifiables
- de contrôler les agences de dotation
- de rendre obligatoire le signalement des pertes, la spécification des actifs


18 novembre 2008

Il n’y a pas de sot métier disait Jean Anouilh… Mais on doit tout de même admettre que certaines tâches sont dignes de Sisyphe et qu’il est difficile de s’imaginer heureuses les personnes qui les accomplissent.

Ainsi ce balayeur de rue que je croise à peu près au même endroit tous les matins a des airs de pénitent. Revêtu de sa parka orange fluo, la capuche le plus souvent rabattue sur le front, il manipule son balai de manière obligée sans pouvoir cacher l’inanité de sa tâche toujours à refaire. Penché sur son outil, il se concentre sur une portion de trottoir aléatoire, ramène machinalement vers le caniveau les feuilles mortes, papiers, mégots, reliquats de nourriture, etc. qu’il rassemble en tas. Il se redresse alors laissant entrevoir son visage blême pour saisir la pelle accrochée à son chariot et charger sa moisson, la soulever et la verser dans un sac en plastique vert pâle fixé à l’anneau métallique qui le maintient ouvert. Il range ensuite négligemment ses instruments puis pousse son fardeau de détritus de quelques mètres avant de recommencer sa manoeuvre… de jour en jour dans la même rue en pente.

Si on peut se réjouir des avancées technologiques c’est surtout parce qu’elles permettent de soulager des tâches fastidieuse et monotones en facilitant leur exécution et en leur donnant un aspect ludique. Le nettoyage des lieux publics est sans doute de celles qui réclament le plus les secours du progrès (en effet, ce balayeur transporté au Moyen-âge ne se trouverait pas moins bien équipé).

Il semble que les édiles communaux ne veulent pas comprendre que pour une part infime de leur budget, l’emploi généralisé d’aspirateurs de trottoir et motos-aspirateurs permettraient de décupler le rendement de la besogne tout en évitant des pénitences...


16 novembre 2008

Il est des idées reçues (ou imposées) qui ont la vie longue, ainsi dans l’histoire des sciences l’héliocentrisme qu’on dit dater de Copernic (1473-1543) trouve son homologue dans l’histoire de l’art avec l’apparition officialisée de la perspective à la Renaissance.

On sait pourtant que la perspective est déjà présente dans la peinture romaine (les fresques de Pompéi) et même dans certaines gravures pariétales. L’héliocentrisme quant à lui était déjà suggéré par Pythagore de Samos au VIème siècle avant J.-C. et fut plus concrètement proposé sur base d’observations et de calculs par le mathématicien et astronome Aristarque de Samos (lui aussi) trois siècles plus tard.

Aristarque avait en effet évalué le diamètre de la Terre et les distances à la Lune et au Soleil. Il avait observé que la Lune met une heure à parcourir une distance égale à son diamètre sur sa trajectoire céleste et constaté lors d’une éclipse de Lune que celle-ci reste dans l’ombre (de la Terre) durant deux heures. Il en avait donc déduit que le diamètre de la Terre valait trois diamètres de Lune - ce qui n’est pas si mal puisqu’il est en réalité 3,7 fois plus grand (son erreur provenant du fait que l’ombre de la Terre est conique et non cylindrique).

Les évaluations de distances de la Terre à la Lune et de la Terre au Soleil souffriront d’erreurs un peu plus grandes mais il n’empêche qu’elles permettront à Aristarque de prendre conscience des énormes dimensions du Soleil ce qui le conduira à le placer au centre de l’Univers, les petites objets tournant logiquement autour des plus gros et non l’inverse.

Tout comme la peinture ne jouant que sur deux dimensions annihilait la profondeur de champ et des idées, sacralisant ainsi plus efficacement les scènes et personnages représentés, le géocentrisme collait parfaitement à l’interprétation du psaume 93 de la Bible : «Tu as fixé la terre ferme et immobile».

Héliocentrisme et perspective, science et art se rejoignent donc de manière inattendue dans une histoire commune, celle de l’obscurantisme.

Les poncifs toujours vivaces de leurs dates d’apparition tentent sans doute de nous faire croire que l’on n’a pas perdu quinze siècles dans le progrès de l’esprit…


15 novembre 2008

En réponse à l’invitation de ma cousine, je découvre les «jolités» de la ville thermale de Spa à l’occasion du Week-end de l’artisan. Ce joli mot qui fleure le dix-septième siècle désigne des objets décoratifs en bois fabriqués par des artisans de la région depuis plus de trois siècles (coffrets de diverses formes et dimensions, étuis, petites horloges, etc.). Ils étaient destinés à l’origine aux curistes qui souhaitaient emporter un souvenir de leur séjour.

Le tsar Pierre-le-Grand qui passa l’été 1717 à Spa (la reine des stations thermales à l’époque) - pour se soigner de ses excès de vodka - fit une réputation internationale à ces bagatelles qui prirent dès lors de la valeur. De nos jours, quelques amoureux du bel objet persistent à entretenir cette longue tradition dont ma cousine et son époux ; lui se consacrant à tourner et sculpter les pièces de bois naturel ou gris, elle les décorant d’animaux ou de paysages avant de leur passer plusieurs couches de vernis.

À l’heure de la mondialisation, de l’uniformisation, de l’hyperproduction et de la course à la rentabilité, il est réconfortant de voir encore certaines personnes prendre le plus grand soin à réaliser de menus objets dont la seule destination est de nous faire du charme en résurgeant - comme l’eau des sources - nos attaches inconscientes à la vie des siècles passés.

De l’artisanat et de la grande production, la superfluité n’est peut-être pas du côté qu’on croit. Le premier qui dominait encore au siècle des Lumières incarnait sans doute la seule conception valide du travail, celle qui en fait une activité qu’on exerce avec passion, vecteur d’épanouissement. La seconde à force de vouloir forcer le profit en a fait une imposition, génératrice du mal-être généralisé qu’on connaît et que les avantages matériels qu’elle procure (parfois) n’arrivent pas à évacuer.


2 novembre 2008

Les députés français ont voté discrètement hier dans la nuit (le jour de la Toussaint !) une disposition permettant aux salariés de travailler jusqu’à l’âge de 70 ans. Si cette nouvelle loi donne l’apparence de respecter simplement les libertés individuelles - et celle de pouvoir travailler est sans doute primordiale - on ne peut s’empêcher de penser qu’elle présente un risque de régression sociale. En effet, on ne doutera pas que cette possibilité de prolonger sa carrière servira tôt ou tard d’argument sournois pour brider l’évolution des allocations des retraites les plus précoces (prises à l’âge déjà respectable de soixante ans par exemple) puisque l’échelle des barèmes se trouve désormais agrandie vers le haut.

La thèse (prétendument irréfutable) selon laquelle l’âge de la retraite doit être rehaussé parce que l’âge moyen de l’espérance de vie augmente (77,5 ans pour les hommes et 84,4 ans pour les femmes) ne serait valide que si la qualité de vie (de santé) était garantie identique durant cet allongement de la durée de l’existence à celle qui est sacrifiée. On sait que ces années gagnées en fin de vie ne pourront jamais valoir celles perdues dans la soixantaine. Nous vivons peut-être plus longtemps mais dans quelles conditions ? Certainement pas dans celles qui permettent de profiter encore pleinement de la vie…

On ne peut pas non plus négliger l’impact psychologique d’un tel report de l’âge de la retraite sur ceux qui n’ont pas l’intention de prolonger leur carrière. Cette mesure est en effet susceptible de culpabiliser ces futurs retraités «précoces», de les faire douter du droit à un repos bien mérité, de se sentir dévaloriser aux yeux de leur entourage, et de constituer dès lors une forme de pression insidieuse.

La «retraite» n’a évidemment de sens que lorsque le travail représente une servitude (sinon une charge physique et psychologique) et non un épanouissement ou une source d’avantages existentiels (aux yeux de ceux qui en bénéficient). Il est évident que les personnes exerçant un métier passionnel (les artistes par exemple) souhaiteront continuer à exercer leur activité tant que la santé le leur permettra. Il en ira de même pour les personnes occupant des fonctions valorisantes et malléables (le plus souvent directrices et bien rémunérées) : chefs d’entreprise, cadres, députés…


1er novembre 2008

Gros succès de foule au nouveau cinéma de La Sauvenière pour le dernier film de Woody Allen, Vicky Cristina Barcelona, au point que les derniers couples de spectateurs doivent se séparer pour pouvoir s’asseoir dans la salle. Un premier pied de nez du réalisateur…

Toujours étonnant de voir le monde qu’attire ce petit cinéaste aux airs faussement débonnaires dont la renommée semble fondée sur son art de la formule et ses exercices d’autodérision en interview plus que sur sa production cinématographique qu’on peut qualifier de légère.

Nulle profondeur en effet dans ces aventures amoureuses de deux américaines à Barcelone. Une exploitation du phantasme très prisé du ménage à trois (un homme et deux femmes) au travers des personnages caricaturaux.

On arguera d’une démonstration de l’aspect burlesque et de la dérision de la vie sentimentale et sexuelle… et alors ?

Un film se limitant à la surface des emportements affectifs aléatoires qui assurent toujours un certain succès... De l’humour qui tente de se suffire à lui-même dans la lignée des réalisations précédentes, une distraction bien construite sans plus… alors qu’on pourrait attendre autre chose d’un scénariste et réalisateur à la réputation d’intellectuel décalé qui prétend chercher à se différencier du cinéma hollywoodien mais réussit surtout à exciter un certain snobisme.

Le public européen semble honoré des pieds de nez que le cinéaste américain lui adresse puisque la ville d’Oviedo en Espagne lui a déjà érigé une statue.


30 octobre 2008

Puerta del Sol station du métro
Sortie vers la Plaza Mayor
Je suis à l'heure je crois bien que j'en fais trop
Une vraie doublure dans un décor

Madrid, Madrid
Tu peux me faire signe
Tu peux brouiller mes mots sur la ligne
Quand je parlerai de toi…


L’air de la chanson de Nilda Fernandez et son bref refrain résonnent lancinant et crescendo à l’approche de la ville capitale sans le souvenir des paroles et de son auteur alors que j’ai la surprise de reconnaître soudain Segovia dans l’encadrement du hublot barbacane en fer de lance fièrement pointé au nord-ouest tournant le dos au noeud de bretelles autoroutières qui nous mènent par chance vers la Sierra de Guadarrama avec ses encouragements du Tour d’Espagne sur l’asphalte un peu avant le sommet où sommeille une station de sports d’hiver - altitude 1880 m – pas loin d’un petit Versailles entraperçu de loin avant de tourner autour de la ville vue d’en haut de découvrir l’alcazar et son donjon ocre clair qui attire le regard vers le ciel bleu et l’avion qui y passe d’admirer en gardant la tête levée l’enfilade de plafonds artesonado mudéjar pour la baisser enfin dans la pénombre sur des livres de physique et de mathématiques destiner à apprendre à calculer les trajectoires des obus de cet ancien collège royal d’artillerie vers l’ombre des arcs brisés projetée sur le dallage de la grand nef de la cathédrale ses retables et ses psaumiers géants juste avant que le cloître encore en pleine lumière laisse passer son dernier visiteur dans ses raies obliques qui s’en ira vers la plaza Mayor et son kiosque à musique puis par les ruelles pour s’arrêter à la nuit tombée chez El Hidalgo en final de prélude

Madrid, Madrid


20 octobre 2008

Je vois par hasard l’extrait d’un reportage sur Sœur Emmanuelle (décédée ce jour). Un journaliste lui montre des images de bébés et d’enfants battus sur l’écran de son ordinateur portable et lui demande comment Dieu peut admettre de telles injustices. Elle lui répond que Dieu ne peut être responsable de toutes les misères du monde car il nous a «jetés» libres sur terre.

Il faut donc comprendre que ces misères seraient le prix à payer pour notre liberté sur Terre. Dieu nous aurait donc créés sur une planète riche de beautés et de ressources en nous laissant libres de nous organiser pour y vivre à notre gré, le plus heureux possible ou non. Tant pis dès lors si nous ne trouvons pas les moyens d’éviter de nous faire souffrir mutuellement… «Lui» peut se prévaloir de nous avoir donné toutes les conditions et les aptitudes nécessaires.

Un argument qui semble imparable et que les pontifes de l’Eglise exploitent sans mesure quand la question revient insistante, mais qui est pourtant facilement réfutable. Les images présentées répondent d’elles-mêmes puisque ce sont celles d’êtres humains qui n’ont pas la liberté de se défendre et d’échapper à leur condition.

La liberté est donc bien réservée à ceux qui ont un minimum de possibilités d’agir, de fuir ou de se rebeller. Si on ne laisse pas le temps et les moyens à certains de les acquérir (et qu’on les en empêche tout le temps de leur existence), il faut bien admettre que ceux-là sont victimes d’une injustice inacceptable. Une injustice qui serait consentie par Dieu pour assurer une liberté nécessaire aux autres (notamment à ceux qui les oppressent) !

Peut-on imaginer que Dieu dans toute sa puissance ait pu concevoir une création aussi aléatoire, aussi imparfaite ? Cet argument accordant toute priorité à la liberté de ceux qui sont en mesure d’en profiter au mépris de la souffrance des autres apparaît comme le plus probant pour remettre en cause l’existence même du Créateur, à moins de l’accepter avec des facultés limitées qui l’exonéraient de tout sens de justice, le vidant dès lors de son prestige et de sa consistance.


19 octobre 2008

C’est le plus souvent en surfant sur l’écume argentée de la société - sur le dos des vagues laborieuses – que le spéculateur enivré de remous se laisse surprendre par une lame de fond…

Sans avoir à surfer, l’occasion est donnée à Tongres d’explorer le «fond» de notre vie en société avec l’assurance d’en remonter à son gré. L’ancienne prison est en effet ouverte au public depuis quelques mois (les derniers détenus ont été transférés en avril 2005). L’intérêt de la visite est d’autant plus grand qu’elle était la plus vieille du pays (construite en 1844) et considérée comme un modèle en son temps. Elle fut la première à enfermer des détenus dans des cellules individuelles pour ensuite revenir à une occupation surnuméraire (90 détenus répartis dans 37 cellules).

Grande porte métallique, mur d’enceinte garni à son sommet de barbelés, chemin de ronde entourant l’ensemble des bâtiments, poste de garde, nouvelle porte métallique, deux grilles encore avant d’atteindre la partie du bâtiment dans laquelle se trouve les cellules, d’abord les parloirs où les détenus étaient séparés des visiteurs par une vitre, ensuite un nouveau poste de garde intérieur avec trois écrans de surveillance, puis un espace tout en longueur - un atrium éclairés par des lanterneaux – avec au fond un escalier métallique donnant accès à la passerelle qui distribue les cellules de l’étage et qui fait le tour du volume, une grande cellule douches communes dans un coin, puis une succession de portes numérotées en bois massif renforcé d’équerres métalliques et pourvues d’un oeilleton de surveillance et d’un guichet.

Ces cellules font chacune exactement 2,50 m de large sur 2,80 m de profondeur avec un plafond voûté à 3,40 m dans sa partie la plus haute. Deux d’entre-elles (une au rez-de-chaussée et l’autre à l’étage) ont été conservées telles qu’elles étaient aménagées lorsqu’elles étaient occupées par les détenus. On y trouve deux lits superposés avec un matelas supplémentaire glissé sous le lit du bas (qui est tiré pour la nuit au centre de la pièce), une table, un petit frigo, un téléviseur, une armoire étagère, une cuvette de WC séparé d’un lavabo par une petite cloison d’un mètre de haut.

Les détenus restaient donc enfermés à trois dans cet espace 22 heures par jour ! Deux heures de promenade leur étaient accordées (une le matin et une l’après-midi) dans une cour de 25 mètres de long sur 10 mètres de large ceinturée de bâtiments d’une douzaine de mètres de haut où se trouve un nouveau poste de surveillance aux vitres fumées.
Les détenus y marchaient en longeant les murs le plus souvent en petits groupes dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Attenant à la cour on trouve l’ancien atelier où 15 détenus seulement sur 90 pouvaient s’occuper (à embobiner des câbles électriques six heures par jour pour une rémunération de 275 €). Ils devaient s’inscrire sur des listes d’attente car presque tous souhaitaient travailler pour tromper l’ennui en cellule.

Des écrans sur lesquels passent des films tournés dans la prison un mois avant sa fermeture ont été disposés à divers emplacements et permettent de visualiser l’activité passée en ces lieux précis. On y voit un gardien pousser son chariot de porte en porte sur la passerelle pour servir les repas, les prisonniers descendre l’escalier pour se rendre dans la cour ou à l’atelier, etc. Une mise en situation réussie.

En quittant cet établissement pénitentiaire s’installe le doute que l’enfermement dans de telles conditions puisse ramener un délinquant dans les normes de la société. On serait même plutôt tenté de penser à un effet inverse... On imagine que l’inutilité de l’attente, la promiscuité et la fréquentation à haute dose (jusqu’à 22 heures par jour) de compères dévoyés ont toutes les chances d’aggraver l’anormalité et la difficulté de réhabilitation.

Il paraît évident que cette conception de la prison n’a que l’objectif primaire de préserver (momentanément) la société sans prendre en compte la réinsertion des délinquants qui devrait être sa fonction essentielle dans une civilisation avancée. La prison devrait en effet offrir idéalement un choix de formations étayées de cours d’éducation civique, d’histoire, de droit... pour donner toutes les chances à ceux qui en sortiront un jour de (re)trouver leur place dans la société et de s’y épanouir enfin.

Ce n’est malheureusement pas pour attirer l’attention sur les conditions de détention et le but vers lequel elles devraient tendre que le ministre de l’Intérieur a organisé dernièrement dans cet établissement une soirée baptisée «Jailhouse Lounge» (Prison salon) avec petits fours et cocktails ! Une initiative pour le moins révélatrice du niveau de conscience de certains de nos politiciens, celui du surfeur paradeur...


17 octobre 2008

Séance unique hier soir pour The end of poverty ? (La fin de la pauvreté ? avec un point d’interrogation en rouge) au cinéma Le Parc, un documentaire de Philippe Diaz (auteur du Nouvel ordre mondial), en sa présence et celle d’Eric Toussaint (président du CADTM – Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde - et principal intervenant dans le film) pour une brève introduction mais surtout pour des commentaires et réponses aux questions des spectateurs après la projection.

Le film est conçu sur une suite de séquences tournées un peu partout dans le monde où la pauvreté sévit. Le réalisateur s’est rendu dans des villages, bidonvilles, campagnes et lieux d’exploitation divers situés principalement en Afrique (Kenya, Sénégal, Congo, Mozambique) et en Amérique du Sud (Bolivie, Venezuela, Brésil, Equateur) pour montrer les conditions de vie des pauvres et les questionner sur le sujet. Ces séquences de « terrain » sont entrecoupées d’interviews d’économistes et d’experts dont des prix Nobel d’Economie (Amartya Sen et Joseph Stiglitz). Le film est sous-titré car on y parle plusieurs langues : l’anglais, l’espagnol, le français et des dialectes africains.

Des rappels chiffrés jalonnent le film :
- Un milliard de personnes sur terre vivent avec moins d’un dollars par jour et 2,7 milliards avec moins de deux dollars.
- 800 millions de personnes vont dormir chaque nuit en ayant faim.
- toutes les 3,6 secondes une personne meurt des suites de la privation de nourriture (une majorité d’enfants de moins de cinq ans).
- Moins de 5 pourcents de la population mondiale habite les Etats-Unis, elle consomme pourtant 25 pourcents des ressources de la planète et est responsable de 30 pourcents de la pollution.
- 25 pourcents de la population mondiale consomme plus de 85 pourcents des ressources de la planète.

Eric Toussaint revient souvent dans le film pour faire l’historique du système capitaliste qui nous a mené à un tel degré d’injustice. Tout commence avec le colonialisme (à commencer par la conquête de l’Amérique) pratiqué par les pays européens qui n’eut pour but que d’exploiter les ressources naturelles et surtout la main d’oeuvre (quasi gratuite) des pays mis sous tutelle. Les colonisateurs y ont exporté le catholicisme (ou le protestantisme) en même temps que le concept de propriété privée instillant l’individualisme dans des communautés soudées autour d’un bien commun.

L’oppression économique actuelle des pays du sud n’est qu’une forme de colonialisme qui ne dit pas son nom. Le principe est de rendre les populations locales dépendantes - pour bénéficier d’une main d’oeuvre peu coûteuse - en s’emparant de leurs moyens de subsistance (terres, mines, etc.) ou même de certaines de leurs techniques artisanales (textiles par exemple) pour les développer à grande échelle les obligeant ensuite à acheter au prix fort des produits de première nécessité (même l’eau !) dont elles disposaient ou qu’elles confectionnaient depuis toujours.

Après la projection les deux orateurs font évidemment allusion à la crise financière actuelle qui scelle (s’il en était besoin) l’échec du néolibéralisme, s’insurgent contre ce système qui socialise les pertes mais privatise les profits en injectant des dizaines de milliards (empruntés sur le compte de la population) pour renflouer des banques (privées) plutôt que de les ponctionner sur le patrimoine des spéculateurs insatiables, responsables du gâchis. Ils dénigrent les partis politiques de tendance sociale (au pouvoir ou non) qui ne veulent pas remettre le système en cause fondamentalement et qui ne trouvent rien d’autre à proposer que de créer des commissions...

En sortant je lis le communiqué de presse de l’association ATTAC Europe (Association pour une Taxation des Transactions financières et l'Aide aux Citoyens) que l’on m’a remis à l’entrée. Succinctement, elle propose :
- une imposition à taux progressif des revenus financiers et sur toute forme de transfert de capitaux (pour réduire le court-termisme).
- la création de banques publiques soustraites à l’obligation de concurrence.
- la création d’un organisme de régulation et d’orientation du système financier sous l’égide des Nations Unies (le FMI ayant prouvé son incapacité).
- la fermeture des paradis fiscaux.
- l’interdiction des instruments financiers douteux : Hedge Funds, Private Equity Funds.
- l’encadrement des procédures de titrisations.

Bref, des mesures certes utopiques mais somme toute logiques et sages pour une association au nom va-t-en guerre...


11 octobre 2008

Vision hier soir d’Entre les murs, Palme d’or 2008 à Cannes. Un film de Laurent Cantet d’après le roman (le troisième) de François Bégaudeau, un ex-professeur de français qui tient le rôle principal avec brio. Le réalisateur a choisi de tourner en plans (assez) rapprochés de manière à «installer» le spectateur dans une classe de 4ème du collège Françoise Dolto dans le 20ème arrondissement de Paris. Ce collège repris dans une ZEP (une Zone d’Education Prioritaire) bénéficie de moyens supplémentaires et d’une autonomie plus grande afin de se conformer au principe inédit dans le système éducatif : «donner plus à ceux qui en ont le plus besoin».

On y voit un jeune professeur confronté à des élèves d’origines diverses (Maroc, Mali, Algérie, Chine…) tenter d’enseigner les fondements du français correct en leurs proposant des exercices oraux sur le vocabulaire ou la conjugaison (le subjonctif imparfait), une rédaction autobiographique lue en classe (qui permet au professeur de mieux connaître ses élèves), une lecture commentée du Journal d’Anne Franck, etc. Ce professeur se trouve harcelé de questions et réparties parfois désarmantes auxquelles il doit trouver les réponses les plus adéquates pour garder la maîtrise de sa classe. L’un ou l’autre incident vient évidemment émaillé les cours…

La caméra ne sort pas des murs l’école et les spectateurs sont aux côtés du professeur lors de l’accueil des parents, dans la salle des profs à la pause, au conseil de classe et de discipline… L’intérêt du film réside surtout dans son réalisme. Il montre de l’intérieur la vie d’une école somme toute assez ordinaire avec des événements qui ne le sont pas moins. Le mérite de l’auteur et du réalisateur est simplement de les avoir assemblés pour en faire un film plaisant mais faussement instructif puisque la plupart des spectateurs ont connu cet environnement à peu de choses près…

On sort de la classe avec une image valorisée du professeur dont on ne peut qu’admettre les mérites de patience et de doigté (malgré quelques déboires) au terme de ce condensé de péripéties de la vie scolaire.

Le film a le mérite de relever l’importance de la présence de représentants des élèves aux conseils de classes. Un point positif qui pourrait passer pour négatif dans le film puisqu’il est à l’origine de l’incident principal. Cette représentation permet aux élèves d’être informés par leurs délégués de ce qui s’est dit sur eux, comment on a décidé de leur sort (pour un redoublement par exemple). Elle contribue sans doute à tempérer les dérives vengeresses ou maladives de certains professeurs, les incitant à une certaine retenue.

La conception de l’enseignement de François Bégaudeau ne semble pas très appréciée d’une partie du milieu intellectuel puisqu’elle est sèchement critiquée par Luc Ferry, Alain Finkelkraut, Pierre Assouline... Le film laisse entendre en effet que l’ex-professeur préfère descendre au niveau des élèves pour les porter dans leur apprentissage plutôt que de les obliger à se hisser seuls au niveau requis par le programme. La polémique semble surtout provenir du fait que cette méthode incite à faire l’impasse sur des livres d’auteurs difficiles et barbants...

Même si la qualité des romans de Bégaudeau est discutable on laissera sur ce sujet de l’enseignement l’avantage à celui qui connaît le mieux le terrain.


4 octobre 2008

Si on veut croire que l’économie de marché apparaît comme le moins mauvais des systèmes économiques (générant la moins mauvaise organisation de la vie en société) parce qu’il répond le mieux à la «nature» de l’Homme. La crise financière actuelle ne laissant aucun doute sur l’inadéquation du libre-échange tel qu’il est pratiqué met donc en lumière les mauvais aspects de cette «nature».

Si le système demande à être bridé et adapté sans fin aux accès de cupidité des Hommes, il ne dispense pas d’essayer d’agir sur l’objet - même s’il est réputé irrépressible - plutôt que sur l’application.

Peut-on ainsi être certain que l’avidité de reconnaissance, de pouvoir et d’avoir relève de l’instinct ? Que ce caractère est inné chez les humains ? N’est-il pas surtout un comportement appris dès la plus petite enfance et qui s’impose crescendo tout au long de l’existence du fait de l’organisation de la société ? à moins d’une prise de conscience de certaines personnes (les altermondialistes par exemple) chez lesquelles il peut retomber à plat – preuve dès lors qu’il n’est pas instinctif...

Notre modèle de société est fondé sur la compétition et la surenchère (le toujours mieux et le toujours plus) qui nécessitent de se distinguer et de devancer autrui - ceci dans presque tous les domaines de l’activité humaine (sauf en art et en amour quand ils sont purs) - avec la récompense d’un statut social, d’avantages financiers et honorifiques (incluant un pouvoir sur autrui). Ce principe (moteur) fomente un conditionnement à l’égotisme et à l’immoralité dans notre société depuis la course aux « bons points » du jardin d’enfants aux contrats salariaux surréalistes des managers conclus sous la condition de «parachutes dorés» (même en cas d’échec total du management), en passant par toutes les malversations propres au système dont font partie les investissements fictifs malhonnêtes (réalisés avec des fonds honnêtes) – qui méritent condamnation en justice.

La crise financière est une opportunité en ce qu’elle met en lumière la déroute de cette stimulation au besoin insatiable de superflu avant qu’elle ne se heurte de toutes façons aux limites des ressources de la planète ; un choc inévitable qui sera autrement dramatique et impitoyable. Elle révèle la nécessité de reconsidérer les incitants du système dans le sens d’une aspiration à rendre les rapports humains solidaires, naturels et sereins en les défaussant des tensions hypocrites de l’ambition de posséder et de dominer mais encore d’une invitation au plus grand respect possible de la Nature (notre garde-manger et gardienne de vie) et aux seuls vrais plaisirs de sa contemplation.


27 septembre 2008

La nuit dernière était celle des chercheurs… Pour la quatrième année consécutive, à l’heureuse initiative de la Commission Européenne, des dizaines d’universités de près de trente pays d’Europe (sur 44) proposent le même soir au grand public de rencontrer des chercheurs de tous horizons (scientifiques, historiens de l’art., etc.) à l’occasion de débats (café des sciences), d’ateliers, de séances de présentation de leur discipline (ou de l’un de ses aspects), de visites guidées de laboratoires, de centres de recherche, de bibliothèques, de Fonds artistiques, etc.

Une pléiade d’activités était donc proposée hier soir place du XX août parmi lesquelles il a bien fallu faire un choix (frustrant). Il s’est porté sur un exposé intitulé La nuit des plantes chercheuses. L’animatrice nous présente plusieurs plantes en pot (haricot, blé, etc.) ensemencées il y a quelques semaines et ayant poussé dans des conditions d’éclairage différentes :
- dans le noir complet (sous boîte en carton) : on constate qu’elles sont blanches et atrophiées (de vrais fantômes)
- à la lumière bleue (sous boîte en carton avec une fenêtre pourvue d’un cellophane bleu), les plantes sont dirigées vers la fenêtre et sont courtes et trapues.
- à la lumière rouge (sous boîte en carton avec une fenêtre pourvue d’un cellophane rouge) les plantes sont dirigées vers la fenêtre et sont minces et allongées (grands écarts entre les nœuds, la plante cherchant la lumière bleue).

La lumière du jour qui contient toutes les couleurs du spectre assure évidemment la croissance optimale de la plante. Il est rappelé que la plante se nourrit (partiellement) par photosynthèse c’est-à-dire par exposition à la lumière solaire dont elle absorbe fortement les longueurs d’ondes égales à environ 440 nm - soit la couleur bleu - et 650 nm - soit la couleur rouge. Raison pour laquelle les feuilles des végétaux sont de couleur verte (puisque la lumière bleue et la lumière rouge sont absorbées par les chlorophylles).

Le principe nutritif de la plante se résumant à la formule : Eau (par le sol et les racines) + Lumière (solaire) + CO2 (de l’air) -> Oxygène + Glucose, transformant donc l’énergie lumineuse en énergie chimique, je me prends à rêver d’une conversion de cette dernière en énergie mécanique ou calorifère pour obtenir enfin une source d’énergie gratuite, abondante, propre, renouvelable et même purifiante...

Il nous est proposé ensuite un petit film de quelques minutes qui nous montre en accéléré le mouvement d’une plante au cours d’une journée de 24 heures. Elle «bat des feuilles» au rythme de l’alternance du jour et de la nuit. Pourvue d’une horloge biologique interne, elle s’adapte – lentement - si le cycle (de 12 heures d’éclairage et de 12 heures d’obscurité) varie. On peut encore voir une plante grimpante balayer de sa tige (comme un pale d’hélicoptère) tout l’espace environnant à la recherche d’un tuteur avant de le trouver et de s’y enrouler à la manière d’un serpent.

Grâce à la fine analyse de la lumière qui leur parvient les plantes sont donc capables de savoir si elles sont au soleil ou à l’ombre, de rythmer le temps sur le jour et la nuit, de mesurer les changements de saisons, de se localiser... Des aptitudes que leur bagage génétique leur confère et que les protéines (déterminée par la séquence en acides aminés) et cellules (sur lesquelles elles agissent) traduisent dans la forme et l’évolution du végétal.


Nous poursuivons ensuite notre visite au hasard des locaux pour tomber sur des présentations de deux méthodes scientifiques peu connues : la dendrochronologie et la palynologie.

La première permet d’évaluer, à l’année près, l’âge des arbres en comptant leurs anneaux de croissance mais aussi de dater des pièces de bois (des charpentes, du mobilier, etc). On procède pour ce faire à un carottage ténu jusqu’au cœur (centre du tronc) de l’arbre. Les anneaux sont ensuite comptés au microscope. L’analyse de la morphologie de ceux-ci permet aussi de reconstituer les changements climatiques et environnementaux. Pour les pièces de bois utilisées dans la construction, la difficulté est de repérer le dernier cerne (un peu plus noir que les autres) à la limite de l’aubier.

La seconde étudie les pollens emprisonnés depuis des milliers d’années dans les tourbières qui sont le produit de la décomposition de débris de plantes aquatiques accumulés dans les creux de certains hauts plateaux où règnent des conditions météorologiques particulières : froides et pluvieuses. Une fois séchées les tourbières servent de combustible comparable au charbon par sa teneur en carbone. Une fine lamelle de tourbe d'un cm2 de surface contient plusieurs centaines de pollens. Plus l’extraction est profonde, plus elle est ancienne. Celle qui est sous le microscope provient du plateau des Hautes-Fagnes. Cette méthode a permis de reconstituer l’évolution de la végétation dans cette région (maquettes à l’appui) sur une période de douze mille ans !


23 septembre 2008

Petite réconciliation avec le Théâtre de la Place hier soir à l’occasion de la Générale de L’affaire Lambert.

Un décor composé d’un plateau tournant circulaire à bandes noirs et blanches qui lui donnent l’aspect d’une cible. Dessus, la séparant en deux parties se dresse une cloison parée d’un motif en pointe de diamant répétitif créant un relief en trompe l’oeil. Une porte centrale pourvue d’une trappe rouge (pour chien) dans sa partie inférieure permet le passage d’une demi cible à l’autre.

La rotation du plateau permet d'alterner rapidement scènes et personnages tandis qu'une observatrice introduit la pièce en chantant et jouant de l'accordéon dans un coin de la scène. Les costumes des comédiens (très vif en couleurs), leurs positions, leurs gestuelles parfois figées quand le plateau est en mouvement font de chaque «plan» un tableau esthétique et dynamique.

Il s’agit donc d’une comédie satirique et subversive s’en prenant à la brutalité de notre société capitaliste. Elle met en scène un père veuf, chômeur, porté sur la boisson qui donne des leçons à sa fille en pleine crise d’adolescence en proférant des dictons mal compris. Ils sont ponctués par les aboiements, grognements et réflexions du «chien» saisissant de réalisme par sa tenue, ses attitudes et ses expressions. Viennent s’ajouter d’autres personnages au moment où une fenêtre s'ouvre dans la paroi pour suggérer un bar. Une tenancière de bistrot ridicule de prétention et un habitué cynique adeptes de la psychologie de comptoir... conseillent Lambert dans l'éducation de sa fille avant de sombrer tous les trois dans un délire de jeux de mots foireux jusqu'à l'hilarité générale.

On reprochera juste au spectacle de descendre en intensité après l’entracte - l’histoire se terminant mal pour Lambert… - et d’utiliser les (trop) grosses ficelles de la comédie : personnages éméchés, dictons détournés, accent «bruxeller», mimiques de politicien bien connu… Mais le spectacle étonne par le rendu de la nature humaine, son décor, sa mise en scène, le jeu des comédiens... que le titre commun et anodin n'annonce en rien.


18 septembre 2008

On sentait Jean-Pierre Luminet un peu fatigué hier soir à l’Institut de Zoologie mais il a néanmoins fait en sorte de donner la meilleure conférence possible. Son sujet était évidemment bien rôdé : La forme de l’espace : des trous noirs à l’univers chiffonné.

Ce mathématicien devenu astrophysicien responsable du labo LUTH (L’univers et ses théories) à l’observatoire de Meudon (Paris) et auteur de nombreux ouvrages (dont des romans) commence par évoquer les différentes théories sur les conceptions de l’univers. De l’univers fini d’Aristote, Ptolémée, Copernic et Kepler à l’univers infini de Giordano Bruno, Descartes, Newton pour en arriver à la géométrie non-euclidienne de Gauss Riemann sur laquelle Einstein se fondera pour élaborer sa théorie de la relativité générale qui explique la gravité par une déformation de l’espace et du temps par la masse.

Au XIXème siècle se développe la topologie, cette branche des mathématiques qui étudie les déformations spatiales par des transformations continues sans arrachages ni recollements des structures (un triangle est topologiquement la même chose qu’un cercle - car on peut transformer l’un en l’autre sans le rompre - mais pas qu’un segment) changeant donc les rapports de connexité de la géométrie euclidienne. Ce domaine de prédilection a permis à l’orateur d’élaborer sa théorie de l’univers chiffonné.

Nous vivons donc à notre échelle dans un espace euclidien sans courbure mais dès que nous envisageons l’espace interstellaire il devient non-euclidien, la courbure de l’espace et du temps entrant en ligne de compte. De même à très petite échelle nous entrons dans une fluctuation de l’espace et du temps avec la gravité quantique dans laquelle on suppute - avec la théorie des boucles - des grains d’espace 10 exposant -99 cm³ et de temps 10 exposant -43 sec. On recherche toujours la théorie qui permettrait de comprendre la forme globale de l’espace.

Il aborde les trous noirs, sa spécialité, et rappelle qu’ils sont le résultat de l’effondrement gravitationnel qui nécessite un minimum de 40 fois la masse solaire. Il rend compte de l’effet loupe qu’ils occasionnent dupliquant l’univers si bien que chaque étoile à son image. Il explique que théoriquement dans l’occurrence d’un voyage dans un trou noir le point de non-retour est atteint lorsque l’on peut distinguer sa sortie (le trou blanc) ! mais que l’on ne pourra jamais l’atteindre car le trou de verre (couloir intermédiaire) se bouche perturbé par notre présence.

L’univers visible serait une sorte de mirage, d’illusion d’optique, résultat de l’effet d’une lentille topologique un peu semblable à celui qu’on rencontre dans une pièce couverte de miroirs. L’espace aurait une structure dodécaédrique démultipliée (dès qu’on sort du «ballon de foot» on entre de l’autre côté mais en tournant de 36 degrés !)

La taille de l’univers observable étant de 53 milliards d’années-lumière de rayon, l’univers physique réel ne serait de ce fait que de 43 milliards d’années-lumière de rayon (soit 80 pourcents de l’univers observable) d’où l’image caricaturale de l’univers «chiffonné».

Pour confirmer cette théorie il faudrait trouver par l’observation des zones de l’univers qui sont des images d’autres zones (six paires de cercles dans l’univers diamétralement opposés, corrélés et antipodaux à 36 degrés près). Le problème est qu’il est difficile de reconnaître les mêmes objets car ils ne sont pas vus à la même époque. C’est comme si on comparaît le bébé vu de face au centenaire vu de dos !


14 septembre 2008

Visite du Fonds et Centre d’études Georges Simenon au château de Colonster (lieu de réception et de prestige de l’Ulg) qui a hérité des archives littéraires de l’écrivain en 1977. La pièce présente sur trois grands murs couverts d’armoires et d’étagères toute son œuvre en différentes éditions et langues diverses. Au-dessus des livres, les affiches des films réalisés au départ de ses œuvres font le tour de la pièce. Sont donc conservés ici les articles de ses débuts dans le journalisme (dont la fameuse série controversée parue sous le titre «Le Péril juif» écrit à 16 ans), les nouvelles, contes et romans érotiques sous pseudonymes (G. Sim), la série des Maigret et les romans «durs» (qui ne font pas partie d’une série et qui répondent – d’après lui - à un besoin nécessaire à son équilibre), la plupart de ses manuscrits, les articles parus dans la presse concernant ses livres et ses films.

On a disposé dans une autre pièce son bureau, quelques meubles (bibliothèques, chaises et table d’accoucheuse (!) sur laquelle il retapait ses textes à la machine), des objets familiers (sa machine à écrire, sa loupe, son tiki – une sculpture en bois d’Homme-Dieu originaire d’Océanie dont il aimait caresser la tête, etc.) et de nombreuses photographies de lui, de son entourage et des lieux où il a vécu (France, Etats-Unis, Suisse). Une série de photos dont il est l’auteur (prises notamment lors de ses nombreux voyages) est présentée dans l’espace d’exposition s’articulant autour du surprenant escalier contemporain de forme hélicoïdal (une grande partie de l’intérieur du château ayant été détruite dans les années soixante).

Notre guide nous explique l’étonnante mise en condition d’écriture du romancier. Il mettait en place tout un cérémonial, prenait ses dispositions pour ne pas être dérangé (jusqu’à tailler une série de crayons avant d’écrire). Il disait de l’écriture qu’elle le traversait en flot continu et qu’il devait éviter de s’interrompre au risque de ne pas pouvoir poursuivre.

Il commençait par remplir des fiches beiges où il notait toutes les caractéristiques des lieux et personnages (âge, origines, profession, liens de parentés, etc.), une réflexion qui durait quelques jours durant lesquels il s’imprégnait des circonstances de son intrigue et des personnalités qui allaient l’animer. Il passait ensuite à la rédaction de son roman à raison d’environ six heures par jour (de 6 heures à midi) durant lesquelles il écrivait un chapitre entier (d’une vingtaine de page). Chacun de ses livres comportant neuf ou dix chapitres, il terminait son roman en neuf ou dix jours. S’accordant un congé de quelques jours, il le révisait ensuite dans son entièreté pendant quatre ou cinq jours, bouclant donc le tout en moins de trois semaines ! Une technique que tout romancier voudrait maîtriser !

Simenon marquait d’une croix (rouge ou bleue) ses jours de travail (rédaction et révision) sur les pages mensuelles des calendriers de la compagnie aérienne américaine TWA. Celles qui nous sont présentées organisent le planning d’un roman d’abord intitulé Le Grand Véfour ou Les cloches de Bicêtre avant de prendre pour titre définitif : Les anneaux de Bicêtre, justement celui que j’ai adapté au théâtre en 2003 ! (voir rubrique Ecrits/Théâtre) Un heureux hasard quand on sait qu’il en a écrit plus de quatre cents.

Ce roman qu’il a écrit entre le 2 et le 25 octobre 1962 et révisé entre le 9 et le 18 novembre 1962, lui a donc pris plus de temps que les autres en raison de la recherche de documentations médicales qu’il a nécessité et de la fine analyse psychologique du personnage principal qui livre un bilan de sa vie dont on ne peut douter qu’il fût en grande partie celui du romancier.

Avant de quitté la pièce je manipule et photographie (recto et verso) la fiche des Anneaux de Bicêtre et y reconnais les noms des personnages et certaines de leurs caractéristiques.

Je quitte le Fonds Simenon en ressentant cette occasion fortuite d’avoir eu en main ces documents comme un clin d’œil à travers le temps du grand romancier à l’adaptateur théâtral - bénévole - d’un de ses romans.


14 septembre 2008

À l’occasion des journées du Patrimoine, plongée dans l’univers des bibliothèques séculaires conservant des manuscrits, des parchemins, des incunables, des livres datant des débuts de l’imprimerie et dont la consultation est réservée d’ordinaire aux chercheurs et aux étudiants.

Nous sommes reçus dans la première bibliothèque (celle de l’université) par une papyrologue (!) victime d’une téléportation temporelle... Elle nous présente quelques papyrus grecs et coptes provenant d’Egypte sur lesquels on découvre des écritures variées : hiératique (qui se différencie des hiéroglyphes), démotique, cunéiforme… les plus anciens datant du premier siècle de notre ère.
Le papyrus est véritablement l’ancêtre du livre puisque avant lui on ne trouve comme support de signes graphiques que des tablettes de bois et d’argile, des os, du bronze, des poteries, des écailles et les parois des grottes…

Le papyrus est constitué de la moelle des tiges de cette plante (qui poussait au bord du Nil) découpée en lamelles qu’on apposait avec un léger chevauchement pour ensuite en coller d’autres par-dessus perpendiculairement et former ainsi une trame croisée. Elles étaient humidifiées, pressées et collées. On y écrivait ensuite au moyen du calame (tige de roseau taillée en pointe). On juxtaposait ces lambeaux de papyrus pour en faire des volumina (des bandeaux enroulés autour des scytales). Ils sont utilisés jusqu’au VIIème siècle en Occident.

Apparaît ensuite le parchemin qu’on assemble en codex (cahiers pour former un livre). Le parchemin n’est plus de nature végétale mais animale puisqu’il est fabriqué avec de la peau de chèvre, de mouton ou de veau (le parchemin en peau de veau mort-né, d'une structure très fine, est appelé vélin). Elle est séchée, dégraissée, amincie, polie et blanchie à la pierre ponce. Quelques codex nous sont présentés avec différents types d’écritures (caroline minuscule, gothique, humanistique). Lettrines et enluminures aux couleurs étonnamment éclatantes rehaussées de dorures leur conférant sacralité font de chacune des pages de ces manuscrits des oeuvres d’art en soi.

Les incunables (balbutiements de la typographie) apparaissent entre 1450 et 1500 et sont réalisés par xylographie c’est-à-dire par la technique de plaque de bois encrée pressée sur le papier. Les caractères (non mobiles) du texte y sont gravés en relief et à l’envers ! Aucune erreur n’est autorisée sous peine de devoir tout recommencer.

Gutenberg utilise bientôt un procédé analogue mais avec des caractères mobiles en plomb donnant naissance à la typographie moderne.

Livres d’heures, Bible, Coran, psaumiers, missels, antiphonaires, armoriaux, oeuvres de poète ou d’historien, traités scientifiques et théologiques médiévaux, notes de cours universitaires, chroniques, coutumiers... plus de six mille manuscrits sont conservés dans les armoires grillagées de la bibliothèque toute en boiseries du XIXème siècle, autour de laquelle court une mezzanine à laquelle deux escaliers en colimaçon donnent accès. Se trouver en ce lieu est déjà en soi un voyage dans le temps qui prélude à celui que les livres permettent dans l’histoire de l’humanité.

La seconde bibliothèque (celle du Grand Séminaire) ne présente pas la même configuration mais transporte tout autant le visiteur dans le passé. Tout en longueur, sans vantaux grillagés ni mezzanine, mais avec de hauts rayonnages (4m) sur lesquels s’appuie des échelles. Elle enveloppe le visiteur du cuir boucané des dos de reliures à portée de main et à perte de vue. Des armoires perpendiculaires au grand côté créent des alcôves successives. Au bout de la perspective un buste du Pape Léon XIII (1810-1903) qui fut Nonce apostolique en Belgique. Il rapprocha l’Eglise de la culture (repensant sa position par rapport aux progrès de la science), de la politique et du monde ouvrier avec son encyclique Rerum Novarum (Des choses nouvelles, 15 mai 1891) qui trouva ses fondements dans le progressisme des chrétiens sociaux de notre région. Léon XIII y condamne «la misère et la pauvreté qui pèsent injustement sur la majeure partie de la classe ouvrière» tout en dénonçant les excès du capitalisme et encourageant de ce fait le syndicalisme chrétien.


5 septembre 2008

J’ai vu ce soir Gomorra, un film au réalisme explosif de Matteo Garrone d’après le livre-enquête sur la Camorra de Roberto Saviano (Gallimard) qui a obtenu le Grand Prix du Jury du Festival de Cannes. Avec un titre qui mélange Gomorrhe et Camorra, Naples et sa banlieue sont donc assimilées à cette cité qui dans la genèse fut détruite par une pluie de feu envoyée par Dieu pour punir leurs habitants de leurs mauvaises mœurs. À la différence que cette pluie ne s’est pas encore abattue sur la ville puisque les trafics de drogue, de déchets, de textiles chinois, de contrefaçons, etc. y prospèrent et que l’organisation criminelle a une mainmise dans tous les secteurs rentables : industries, bâtiments, jeu, commerces… et sans doute le cinéma puisqu’on image mal que ce film ait pu être tourné sans l’aval de l’organisation criminelle au cœur même de son territoire. Une mainmise qui se traduit par un «impôt» que l’auteur du livre semble avoir oublié de payer puisque lui et sa famille sont menacés.

L’Italie avec son économie parallèle est sans doute le pays qui illustre le mieux la décadence à laquelle conduit le néolibéralisme débridé. La Mafia n’est en effet rien d’autre que l’incarnation d’un ultralibéralisme poussé à l’extrême, sans scrupules, sans foi ni loi - sauf celle arbitraire, fluctuante et radicale de son milieu - au point que son action et son évolution à l’échelon planétaire sont presque réjouissantes (vues de loin) en tant que contre-exemple de la validité d’un principe économique conquérant.

La Mafia italienne signe la faillite de l’éducation familiale, de l’instruction, de l’Etat par les carences de sa justice et de sa police, de l’Eglise à laquelle les hors-la-loi restent attachés sauf au respect de la plupart des versets des Dix Commandements.
Cette organisation tentaculaire fait une réputation indigne et infamante d’un pays qui fut le berceau de la culture européenne.


2 septembre 2008

La «grande» nouvelle du jour est le transfert d’un joueur de football (qui n’est même pas le meilleur) du club local vers un grand club anglais pour un montant record : 18 millions et demi d’euros ! Mais l’affaire ne s’arrête pas là puisque ce club anglais est celui que le club local doit rencontrer en coupe UEFA dans une quinzaine de jours. Si le joueur en question ne jouera pas par mesure «éthique», il est dit clairement dans la presse que le transfert s’élèverait en fait à 20 millions d’euros si le club local venait à être éliminé, chaque club compensant ainsi le manque à gagner d’une élimination.

Si l’arrangement semble n’avoir rien de répréhensible puisqu’il ne devrait pas influer sur l’issue des matches (aller-retour), la manière dont il est présenté à la presse par les communicateurs du club jette un trouble pour le moins insidieux puisqu’on laisse entendre que le million et demi d’euros de différence serait versé après élimination comme si elle avait été achetée...

Une opération financière qui promeut donc plutôt la magouille (propre au capitalisme) que de la probité. On sait en outre que tout arrangement avantageux entre deux parties se fait aux dépens d’un tiers perdant souvent moins visible, plus dilué… : l’environnement, l’Etat, la communauté… dans le cas présent ce seront les spectateurs puisque ces surenchères se répercuteront immanquablement sur le prix des places.

Quant au joueur il gagnera 3,6 fois son salaire actuel soit 90 mille euros de fixe par mois (sans compter les primes) soit une bonne cinquantaine de fois un salaire moyen. De quoi motiver le travailleur lambda qui doit se réjouir de travailler dans un système de société «équitable»…


29 août 2008

On ne peut nier que l’attribution de prix littéraires ou cinématographiques dope la motivation à acheter un livre ou à aller voir un film. Sans doute ces distinctions nous donnent-elles l’impression d’un gage de qualité et d’intérêt minimal, l’envie d’en vérifier nous-mêmes leur bien fondé.

Ainsi donc le prix du scénario du festival de Cannes m’a-t-il attiré hier soir au cinéma Le Parc pour voir Le silence de Lorna des frères Dardenne.

Synopsis : Un mafieux organise le mariage d’une jeune Albanaise avec un jeune drogué afin qu’elle obtienne la nationalité belge qui lui permettra de s’installer dans le pays et d’ouvrir un snack mais ce mariage est soumis à la condition qu’elle se marie ensuite avec un Russe… Le mafieux se charge de la rendre veuve en assassinant le drogué par overdose mais ce qu’il n’a pas prévu c’est que la jeune femme prenne pitié du drogué avant d'en tomber amoureuse et de se trouver enceinte.

Un film qui a donc pour sujet les mariages blancs qui se trament dans les milieux interlopes, combinards et sans pitié… produits naturels du libéralisme qui incite l’individu à faire de l’argent son unique credo. Les cinéastes ont beau faire émerger la part d’humanité de l’héroïne et lui accorder une relative victoire sur le système, on aurait tout de même du mal à y croire dans la réalité. Un scénario bien construit – bien que se diluant sur la fin – mais qui n’apparaît pas particulièrement comme une prouesse puisque l’histoire s’inspire de faits réels du moins jusqu’à l’enfant en gestation… Un prix qui semble donc surtout décerné sur la réputation des frères Dardenne (à qui il fallait bien attribuer quelque chose) et qui laisse supposer une relative faiblesse sur ce plan des autres films concurrents.

L’effet le plus prégnant du film est sans doute involontaire et inattendu : la mise en valeur, au propre comme au figuré, de la possession d’un passeport belge. Aurait-on imaginé qu’il en avait une… cette attestation d’appartenance à ce petit pays artificiel, forcément divisé, sans esprit d’union (malgré sa devise ironique : L’union fait la force), au carrefour malencontreux de deux mentalités et de deux cultures (latine et germanique) en conflit permanent.


24 août 2008

Je ne sais ce qui me pousse à allumer le téléviseur ce matin... Je tombe sur un documentaire en cours sur la Une (RTBF1). Le programme annonce Week-end ou la qualité de la vie. Certains d’entres nous, dit-on, vivent pendant onze mois en espérant le moment des vacances, d’autres passeraient leur semaine à rêver du week-end. La caméra semble suivre un fonctionnaire (un peu désabusé) et sa famille en week-end à la mer dans un camping. Un personnage rencontré sur la plage en train de peindre intervient pour dire, sur un ton de philosophe, qu’il ne comprend pas que des gens puissent barrer les jours du calendrier en attendant les vacances, qu’il peut à la limite le concevoir pour un soldat qui attend la quille mais pas autrement.

Pas difficile à comprendre pourtant… que certaines personnes (et même la majorité d’entre elles) n’ont pas la chance de s’épanouir dans une profession choisie, d’avoir du goût pour les tâches fastidieuses qu’on leur propose (impose), de profiter par elles d’une position hiérarchique et sociale qui leur donne une satisfaction valorisante, de bénéficier en outre de rétributions encourageantes, etc.

On sait que l’argument selon lequel il suffirait de changer de métier, si on n’en est pas satisfait, n’est plus valide dans la jungle actuelle de la course à l’emploi. Un des travers de l’économie de marché galopante est bien celui de tendre à faire croire que ceux qui ont un travail peuvent s’estimer heureux et qu’ils le sont réellement.

Sauf à être du côté des manipulateurs de notre système économique mondialisant, l’ennui s’avère pour la grande masse des manipulés sa composante essentielle bien que sa fonction majeure soit de produire des strates et des paillettes, des jeux et des gadgets à exploiter uniquement en dehors des heures de sainte production.

Et s’il fallait envisager un effondrement de civilisation, on devine qu’il résulterait avec la dégradation de l’environnement (qu’elle ravage) d’une lassitude enfin reconnue et fustigée du paradis clinquant qu’elle propose. Biffer les jours du calendrier apparaît dès lors non pas comme une attitude affligeante mais comme l’acte de résistance de ces héros du quotidien qui défendent jusqu’aux derniers arpents leur goût de vivre.


22 août 2008

Il est des lieux qui transcendent le goût de la connaissance et du savoir, qui l’élèvent au divin et au sacré par l’atmosphère qu’ils dégagent. On suppose que des facteurs divers contribuent à inspirer ce sentiment : architecture sereine et vénérable des bâtiments, urbanisme homogène dans lequel ils s’inscrivent naturellement, la région et le pays qu’ils représentent, l’histoire qui leur est attachée…

Ainsi la plus vieille université d’Espagne (fondée en 1218), celle de Salamanque au cœur de la province de Castille et Leon que j’ai visité cet été, n’apparaît pas comme le produit de la ville qui l’entoure mais comme son origine et son essence. Connue pour son remarquable fronton d’entrée de style plateresque, ses immenses salles de cour voûtées aux chaires et bancs de bois d’époque s’articulant autour d’un cloître à l’ombre de la nouvelle et de l’ancienne cathédrale, cette Alma Mater plonge le visiteur dans le Moyen-Âge de l’enseignement (qui avivait le goût de l’étude au contraire d’aujourd’hui), elle nous rappelle au long cheminement de la quête de connaissances des Hommes au travers les siècles...

Théâtre de débats d’idées, l’événement le plus célèbre qui lui est attaché est le courageux discours de Miguel de Unamuno (1864-1936), philosophe (auteur du Sentiment tragique de la vie) prononcé en 1936 (alors qu’il était recteur) à l’encontre des fascistes et des bolcheviques en présence de l’épouse du Caudillo, des généraux et des ministres phalangistes. Il composa en effet son allocution autour d’une vérité toute simple qui vaut toujours pour tous les dictateurs et toutes les nations provocatrices et conquérantes à l’origine des conflits armés à travers le monde : vaincre n’est pas convaincre ni conquérir convertir...

Lorsqu’on cherche à dominer autrui par la force brutale, à lui prendre ses biens, son territoire... on se prive des occasions d’emporter sa conviction et son adhésion. En effet, la victime se trouve au contraire renforcée dans sa foi, sa culture, son idéologie et le véritable vainqueur n’est pas celui qu’on croit... car même la victoire matérielle finit par se dissoudre devant la force morale. Le bilan de toutes les guerres se traduit toujours au final par un échec et un recul de l’agresseur initial.

Convaincre, persuader, argumenter, faire valoir les avantages... demandent hélas plus de temps, de sacrifices et d’habileté que de dresser des armées qui ne donnent qu’illusions de force et de puissance.


11 août 2008

Les médias sont heureux de montrer que la fraternité entre sportifs dépasse les dissensions nationales. En effet, la Géorgienne Nino Salukvadze (médaille de bronze) et la Russe Natalina Paderina (médaille d’argent) s’embrassent sur le podium olympique alors que leurs pays respectifs sont en guerre. Ils ne relèvent cependant pas l’incongruité de leur discipline : le tir au pistolet à 10 mètres !

Une occasion de se demander si des épreuves sportives qui consistent à manier des armes à feu ont bien leurs places aux Jeux Olympiques.


10 août 2008

Curieux phénomène cet après-midi lors d’une balade en voiture dans les Ardennes (du côté de Houffalize – petite ville bien connue pour sa position stratégique lors de la bataille des Ardennes et qui fut totalement détruite…). Un téléphone portable s’est mis à sonner dans un sac posé sur le siège arrière. Le temps de l’en sortir, la sonnerie avait cessé et l’écran indiquait deux appels en absence provenant de mon propre portable que je n’avais pas sur moi… à plusieurs minutes d’intervalle (la première sonnerie n’avait pas été entendue).

Je pensai donc l’avoir laissé à la maison et qu’on s’en était servi pour appeler celui-là. Vérification faite, ce n’était pas le cas. Je présumais alors l’avoir perdu et que quelqu’un, l’ayant trouvé, avait appelé la premier numéro programmé du répertoire…

Je songeais à l’endroit où j’avais bien pu l’égarer lorsque je l’aperçus soudain dans le sac ouvert devant moi ! Il me fallait donc admettre que mon portable avait appelé l’autre… sans aucune intervention humaine. Je dus me résoudre à expliquer le phénomène par des frottements peut-être mutuels… provoqués par les vibrations du véhicule.

Ces frottements auraient donc réussi non seulement à déverrouiller mon portable (puisque j’ai pour habitude de le verrouiller systématiquement) actionnant deux touches différentes à la suite l’une de l’autre à des extrémités opposées du clavier puis deux autres (l’une sous l’autre) à deux reprises pour appeler son vis-à-vis à plusieurs minutes d’intervalle…

Je me demandais alors si deux objets auxquels on avait donné le pouvoir de communiquer entre eux en se transmettant des sons ne seraient pas en mesure de développer d’autres facultés imprévues, notamment celle d’entrer en relation sans notre concours et peut-être mieux encore, celle de s’animer d’une forme de vie qui ne laisserait paraître à nous, humains, que quelques indices inexplicables.


9 août 2008

Certaines personnes se targuent de qualités qu’elles n’ont pas, donnent des leçons qu’elles se gardent bien d’appliquer, flattent l’exemple de personnalités qui sont leurs antithèses, exploitent les renommées (en les déshonorant) pour valoriser fallacieusement leur propre image…

Démonstration fut faite hier soir, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques à Pékin, qu’il en va des nations comme des personnes… puisqu’une partie importante du spectacle faisait l’apologie de la Chine en référant à Confucius !

Ce grand sage, premier «éducateur» de la Chine (551 – 479 avt J.-C.), qui dans sa doctrine politique et sociale (le Confucianisme érigé en religion, dogmatisée ensuite – comme toutes les autres - au profit des princes et des empereurs tyranniques) proposait entre autres :
- d’élaborer une sagesse politique fondée sur une morale susceptible de pacifier, d’établir une justice sociale et la prospérité.
- de viser l’émancipation du jugement par des réflexions libres échangées sans entraves.
- de développer les principales vertus qui forment le sage : la fidélité aux principes de la nature (civilité et respect des rites), la générosité, la bonne foi, la vigilance (effort permanent pour progresser).

Des préceptes qui ont été traduits par ordre, discipline, rigueur, grandeur… peut-être efficaces dans le sport mais qui dans la vie quotidienne mènent à la censure et à l’oppression. Même si on peut admettre qu’une certaine fermeté est nécessaire pour gérer un milliard trois cents millions de Chinois, on sait trop que ces options classiques produisent, dans la pratique, des dérives systématiques loin des enseignements du vénérable érudit.

Une grande muraille… sépare donc les agissements du parti communiste (terme galvaudé) au pouvoir des belles pensées antiques dont il se revendique et qui inspirèrent avec un autre succès les Lumières et Voltaire.


5 août 2008

Installé sur la terrasse en début de soirée, je vois passer dans le ciel serein, à haute altitude, une petite formation d’oiseaux en migration puis, quelques minutes plus tard, une autre beaucoup plus importante. Il me semble reconnaître des grues cendrées qui se dirigent d’Ouest en Est. Elles sont une bonne soixantaine et forment en vol la lettre « A ».

Je m’étonne de la date précoce de cette migration et de sa direction (l’Est). Mais ce vol d’oiseaux me rappelle surtout aux mystères de la nature, au lien secret qu’on se contente d’appeler « l’instinct » qui unit ces oiseaux groupés dans la configuration la plus efficace. On a constaté, en effet, qu’organisés de cette manière ces oiseaux battent moins des ailes, qu’ils sont portés par une force ascendante générée par les autres oiseaux à condition d’être placés à une distance très précise les uns des autres.

Mais le mystère de la migration ne s’arrête pas là, comment ces oiseaux décident-ils du moment du départ, de la direction à prendre, de l’altitude la plus favorable, de la longueur des étapes et de la destination finale qui ont tout l’air d’être « calculés » ?

On comprend que les anciens peuples et personnalités (Hésiode, Homère, Hérodote, Aristote…) leur donnaient des valeurs symboliques diverses et qu’encore aujourd’hui on serait tenté d’y voir certains signes d’une entité inconnaissable (celle qui gouverne ces oiseaux et tout le reste ?) adressés à ceux qui dans l’instant de leur observation sont amenés à les considérer comme tels.

Le problème reste alors de la signification qu’il faudrait leur accorder ? La plus logique serait peut-être celle d’un changement, d’une mutation en cours vers un lieu plus favorable et dans laquelle le témoin à l’image de ces oiseaux ne devrait pas hésiter à s’engager. L’image prémonitoire de sa destinée au milieu des hommes…


31 juillet 2008

Je traversais nonchalamment en vélo De Haan aan Zee ou «Le Coq sur Mer» - n’en déplaise aux flamingants (le coq étant l’emblème de la Wallonie), lorsque j’empruntais au feeling une rue parallèle à la rue principale. Je la sentais toute proche sans avoir pourtant aucune idée de sa situation dans la ville. Je pédalais le minimum qui fut nécessaire pour rester en équilibre et admirer à mon aise ces villas de style Belle-Epoque datant du début du siècle passé, une architecture anglo-normande qui se caractérise par des toits pentus, des petits balcons, des oriels, des vérandas, des tourelles, des lucarnes et des murs peints dans des tons pastels…

Je passai devant elle sans la reconnaître sans doute un peu distrait par la famille de vacanciers qui dînait dans le jardin. Mais Christiane à qui je venais de confier le nom de la villa que je cherchais me rappela vers elle. «Villa Savoyarde» était en effet inscrit sur sa façade au-dessus de la petite terrasse couverte.

C’était bien là. Une plaque commémorative indiquait d’ailleurs, qu’Albert Einstein et son épouse Elza Koch avaient vécu six mois (d’avril à septembre) de l’année 1933 dans cette maison. Je reconnus alors les deux portes cintrées des garages qui apparaissent en arrière-fond de la célèbre photo où ils posent tous les deux côte à côte… à l’endroit exact où je me trouvais.

L’arrivée au pouvoir d’Hitler à Berlin quelques semaines avant leur retour des Etats-Unis (où Albert était allé donner quelques cours) et la réquisition des biens juifs les avaient incité à rester en Belgique. Ils étaient arrivés par bateau à Antwerpen (Anvers) où des amis les avaient accueilli avant de leur louer cette villa. Ils étaient venus par le train avec un bagage de seize coffres et le célèbre violon avec lequel Albert Einstein donnera d’ailleurs un concert au casino d’Oostende.

Le 10 septembre, suite à l’assassinat du professeur Théodore Lessing par les nazis en Tchécoslovaquie, il craignit pour sa vie et quitta De Haan pour Londres avant de rejoindre définitivement les Etats-Unis.

Je reprenais ma balade en vélo avec en tête l’image de cet homme à l’aspect faussement débonnaire qui cachait un scientifique hors norme, à l’esprit à la fois vif, prospectif, contemplatif, malicieux, engagé, fantasque et contradictoire… mais qui avait aussi des qualités de philosophe, de penseur, de visionnaire qui firent plus qu’on ne croit son succès (même sur le plan scientifique). Ses pensées et apophtegmes demeurent d’ailleurs célèbres. En voici quelques-uns :

Si un homme peut éprouver quelque plaisir à défiler en rang aux sons d’une musique… il ne mérite pas un cerveau humain puisqu’une moelle épinière le satisfait.

C’est le devoir de chaque homme de rendre au monde au moins autant qu’il en a reçu.

En apparence, la vie n'a aucun sens, et pourtant, il est impossible qu'il n'y en ait pas un !

Il est plus difficile de désagréger un préjugé qu’un atome.

Il n'existe que deux choses infinies, l'univers et la bêtise humaine... mais pour l'univers, je n'ai pas de certitude absolue.


Et une dernière à laquelle il aurait pu penser en nous voyant passer :

La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour garder l’équilibre.


27 juillet 2008

Visite guidée de l’exposition rétrospective et posthume de Nic Joosen (décédée en novembre 2007) dans les jardins du château de Jehay cet après-midi. Pour la première fois depuis huit ans l’exposition annuelle de sculptures est consacrée à un seul artiste régional (de surcroît) dont la disparition aura sans doute contribué au bénéfice de ce privilège...

Nic Joosen a profité de la profession de son mari dans la construction métallique pour exploiter le créneau de la sculpture en acier Corten (un acier auto-patiné à corrosion superficielle forcée de bel effet esthétique et de bonne résistance aux conditions atmosphériques). Des sculptures aux nuances cuivrées parfois veloutées que la verdure se plaît à enchâsser. Des volumes simples, épurés, géométriques, courbes... jouant de la symbolique (la porte, le pas, le couple) ou du rapport à la nature (les feuilles, l’arbre, les vagues).

Un travail dont la sobriété rend la disposition entre éléments et dans l’environnement primordiale. Des jeux d’ombres, de lumières, de confrontations ou d’intégrations que l’artiste n’aura malheureusement pas pu organiser elle-même et qui sont une part essentielle de ce type d’expression sculpturale. Un commissaire adroit aura donc réussi à faire valoir le sentiment que plus la simplicité des formes et des volumes est grande plus la subtilité des sensations à glaner l’est aussi.

La guide nous lit un extrait d’une interview révélatrice de la modestie de l'artiste. Elle y avoue son privilège d’avoir eu un époux qui lui a permis de réaliser ses œuvres en acier, de s’occuper de la manutention, et surtout de la vente. L’aspect commercial de l’art même si elle reconnaît son importance dit l’ennuyer. Vivre de son travail artistique est difficile, ajoute-t-elle, même si on vend de temps à autre une œuvre beaucoup d’autres restent sur le carreau et s’accumulent…


24 juillet 2008

J’étais enfant lorsque j’entendis pour la première fois le nom d’Izoard, ce col de légende du Tour de France qui me passionnait à l’époque...

Quelques années plus tard, dans l’adolescence, je passai des vacances à La Grave (dans l’Oisans) près de Briançon et je découvrais ce col de visu (en voiture) dans la petite automobile que mes parents venaient d’acquérir : une Glas Izard (du nom de ce chamois des Pyrénées), curieuse homophonie qui fit peut-être que ce nom garda plus de résonance dans ma mémoire que les cols du Lautaret et du Galibier que j’avais aussi parcouru.

Bien plus tard, à l’âge adulte, ce nom ressurgit brusquement en m’évoquant cette fois des images et des sons de mondes oniriques étranges car je découvrais un poète qui avait choisi de prendre ce pseudonyme. Un poète qui se révéla acharné non seulement dans sa production mais aussi dans sa manière de défendre, insuffler, encenser, promouvoir… son art - qui il est vrai en avait et en a toujours bien besoin. Ce surnom lui avait sans doute été inspiré par les contrées lunaires que la route traverse à l’approche du sommet, théâtre des « surpassements » de soi des coureurs de légende (Fausto Coppi, Louison Bobet, Eddy Merckx, etc.) et des autres...

Une part de ce mot, son incarnation humaine, a donc hélas été inhumée cet après-midi au cimetière de Sainte-Walburge dans une relative discrétion qui dénotait tout de même une certaine ingratitude de ceux que son art subtil et délicat avait simplement touchés un jour quelque part, de ceux qu’il avait plus franchement rencontrés au travers les mots et apaisés du monde commun souvent insupportable, de ceux qu’il avait tirés gracieusement dans son sillage pour leur céder le relais de sa vocation…

Les éléments naturels, plus reconnaissants… se voulaient amènes, chaleureux, respectueux : brise tiède et embaumée, lumière profuse et douce, feuillages vibrants et diserts entre ciel et terre contrits dans le recueillement…

La nature, mieux que les hommes, rend honneur aux poètes...


21 juillet 2008

Se retrouver pieds nus dans un aéroport comme en prélude au décollage ; s’endormir à la belle étoile sous le clocher de la cathédrale d’une ville de Castille où nichent des cigognes qui craquètent ; s’imaginer Cervantès assis à son bureau dans la pièce où il corrigea les épreuves de Don Quichotte ; s’entêter à croire que l’art peut donner plus qu’il ne peut devant Le Saint Suaire de Zurbaran ; rêver sous une cloche de verre de feuilleter les incunables et les manuscrits précieux de la plus vieille bibliothèque d’Espagne ; prendre un coup de soleil malgré la copie grandeur nature de La Chute d’Icare de Breughel l’Ancien sur le palier de l’hôtel ; s’étonner que l’UNESCO protége la pauvreté en protégeant un vieux quartier ; observer le manège d’égarés qui se muent en gardiens de parkings improvisés ; repérer le geste d’un accordéoniste qui donne une pièce à un mendiant révolté ; pouffer devant le spectacle de deux hommes descendant le fleuve à la nage en exhibant leurs maillots de bains à la main et culbutant pour amener leurs postérieurs hors de l’eau ; se faire refouler d’une église pour avoir trébuché dans le pied d’un prie-Dieu ; découvrir au détour d’une ruelle un groupe d’étudiants en capes noires chantant le fado pour eux-mêmes sur une place déserte ; deviser chacun dans sa langue avec un pêcheur de poulpe au bout d’une jetée sur l’océan ; assister au cirque d’un clown désoeuvré vexé de s’être fait gifler ; être sur les lieux du départ d’un feu de broussailles devant un panorama qui domine la ville et la voir s’enflammer par illusion d’optique avant l’intervention des bombeiros

Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé n’est pas fortuite.


2 juillet 2008

La frénésie constructrice de l’homme est destructrice souligne Nicolas Hulot dans Ushuaïa Nature consacré à l’Amazonie (sur TF1 ce soir). Il ajoute que les indiens Zoé qui vivent isolés sans contact avec la « civilisation » consacrent deux heures par jour seulement aux tâches vitales...

Le prix à payer de cette « civilisation » apparaît en effet dans toute sa douleur en ce milieu (encore) naturel au foisonnement de vie exceptionnel. Elle nous coûte huit heures de contraintes journalières dont on s’efforce de croire qu’elles nous épanouissent… mais surtout la destruction rapide de ce milieu primordial avec les conséquences qu’on ne peut encore évaluer (perturbations du climat mondial, diminution de la production d’oxygène de 50 %, disparition d’espèces végétales qui interviennent dans la composition des médicaments, etc.)

D’après les chiffres de la F.A.O. (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), l’organisme le plus fiable, il disparaît chaque année l’équivalent d’un pays comme l’Autriche ! (soit une surface de 80.000 km2 en tenant compte de la reforestation qui ne vaut pas la forêt primaire…). Le déboisement s’effectue essentiellement par incendie !

À ce rythme, on prévoit la disparition totale de l’Amazonie vers les années 2150.


16 juin 2008

Période d’examens oblige, on me demande de donner quelques pistes sur le sujet suivant : «Qu’est-ce qui fait qu’un roman est grand ?»

S’interroger d’abord, comme pour toute dissertation sur le sens du titre, donc dans ce cas sur le sens de l’adjectif « grand » qui est très subjectif...

À mon sens un roman sera qualifié de «grand» pour un ensemble de qualités qu’il réunit ou pour une originalité forte, pour un aspect novateur qui le distingue…

Un «grand» roman est malheureusement indissociable d’un bon marketing, d’une bonne diffusion et promotion favorisant le bouche-à-oreille... Un roman réunissant toutes les qualités pour être « grand » ne le sera pas nécessairement s’il reste confidentiel, inconnu du grand public. De nombreux romans sont redécouverts à la suite d’un succès soudain de l’auteur mal connu jusque-là (ils font l’objet de rééditions…)

Un «grand» roman passe généralement à la postérité ou rencontre du moins un succès durable… Il sera en tête des classements des libraires pendant plusieurs semaines, sera qualifié de roman de l’année ou aura reçu un prix littéraire renommé (Prix Goncourt, Médicis, Femina, etc.)

Un best-seller qui fait un gros chiffre de vente mais qui rencontre un succès le plus souvent éphémère ne sera pas forcément un « grand » roman.


Ce qui fait un «grand» roman…

Comme toute œuvre d’art, un roman doit de manière générale: surprendre, émouvoir et apprendre.

Un grand roman se caractérise tout à la fois par :

1. Des qualités d’écriture démontrant une belle maîtrise de la langue (clarté et justesse de la syntaxe, vocabulaire approprié – sans forcément être riche et compliqué)

2. Un style personnel – sans être forcément original, baroque, abstrait… - plaisant à lire, musical (agréable à lire à haute voix), en harmonie avec le sujet, l’esprit du roman.

3. De préférence une belle histoire racontée, une intrigue bien menée ménageant un suspens qui donne de l’entrain à la lecture.

4. Une construction originale (histoires ou points de vue imbriqués, flash-back…) mais pas nécessairement.

5. Des informations précises (documentées) du ou des sujets qu’il aborde.

6. Des réflexions philosophiques, sur le sens de certaines situations, certains comportements, la vie...

7. Des références à l’époque et au lieu où se situe le roman (modes, événements de l’actualité, films, musiques...)

8. Des effets émotionnels (affectifs, visuels, auditifs, olfactifs, goût, toucher…) avec focalisation sur des détails, des anecdotes qui rendent les situations vivantes, crédibles et permettent au lecteur de se « fondre » dans l’histoire.

9. Une psychologie réaliste et un comportement logique des personnages en fonction d’elle.

10. Les étonnements qu’il suscite dans l’action, les situations, les circonstances, l’expression (les jeux sur le langage)...

11. Des « non-dits » perceptibles qui laissent au lecteur le soin d’achever la description, l’histoire, la réflexion...

12. Une fin surprenante (ou du moins pas trop prévisible).

13. Une cohérence globale, un univers particulier, une unité qui «ficelle» le roman et qui donne l’envie de le considérer comme une œuvre d’art.


Exemples de «grands» romans (sans remonter trop loin) :

Lord Jim de Joseph Conrad
Les Buddenbrook de Thomas Mann
À la recherche du temps perdu de Marcel Proust
Le Sujet de Heinrich Mann
Le Brave Soldat Chvéïk de Jaroslav Hasek
Ulysse de James Joyce
La Conscience de Zeno d’Italo Sveno
Les Faux-Monnayeurs d’André Gide
Le Procès de Franz Kafka
Mrs. Dalloway de Virginia Woolf.
L’Amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence
Voyage au bout de la nuit de Céline
Tropique du Cancer d’Henry Miller
Auto-da-fé d’Elias Canetti
Lolita de Vladimir Nabokov
Sur la route de Jack Kerouac
Une journée d’Ivan Denissovitch d’Alexandre Soljenitsyne
Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez
Le Monde selon Garp de John Irving
Le Nom de la rose d’Umberto Eco
Les Enfants de minuit de Salman Rushdie


14 juin 2008

Dernier exposé de M. Jean-Claude Lefèbvre - après vingt-deux ans d’office - hier soir à l’auditoire de la rue des Pitteurs sur un sujet qui clôt avec un bel à-propos de circonstances ses cycles de conférences : «La mort de l’Univers».

L’orateur termine son exposé avec la projection d’un carré noir uniforme sur le grand écran de toile du vidéoprojecteur. Après avoir commenté des milliers d’images projetées d’objets et de phénomènes astronomiques spectaculaires pendant plus de vingt ans à l’aide d’un matériel qui évolua progressivement, le point final de l’histoire de l’univers - et donc de tout ce qui existe - apparaît pathétique et désolant... «Tout ça pour en arriver là…» serait-on tenté de penser malgré la composante de temps démesurée qui nous en sépare…

En effet, dans cent mille milliards d’années en se fondant sur le principe de l’expansion accélérée actuellement en cours, toutes les galaxies et étoiles seront éteintes dans l’univers, plus aucun photon ne subsistera, même le trou noir supergalactique final se sera évaporé (d’après la théorie de Stephen Hawking) et la température sera de 10 exposant - 60 degrés Kelvin… très proche du zéro absolu.

Bien avant cela… dans seulement cinq milliards d’années le Soleil sera devenu une étoile géante rouge qui élèvera la température sur Terre de 300 degrés Celsius provoquant l’évaporation des océans et la disparition implacable de toute vie... si elle était encore possible... L’une et l’autre devenant ensuite des astres morts et glacés.

L’univers et ce qu’il contient, étoiles, planètes et galaxies... naissent, grandissent, vieillissent, fatiguent... et meurent donc à l’image des humains.

On peut espérer qu'alors, ailleurs... en un lieu encore sans dimensions, le vide – qui ne l’est jamais tout à fait... – engendre à nouveau en 10 exposant – 43 sec de la matière et son contraire (l’antimatière) et concomitamment le temps et l’espace d’un autre univers pour une nouvelle aventure pareille à celle qu’annonce chaque début de vie humaine.

Aussi troublant que cela puisse paraître, le vide peut en effet procréer de la matière. L’effet Casimir du nom d’un physicien néerlandais a démontré dès 1948 qu’il existe une énergie du vide. Une bonne nouvelle sachant qu’un proche collègue ainsi prénommé part à la retraite - lui aussi - dans quelques jours…


9 juin 2008

Monsieur le Bourgmestre Demeyer,

Je vous adresse ce nouveau courrier (le troisième), à la suite sans doute d’autres voisins, au sujet des nuisances sonores et autres cris, sonneries aux portes, jets de pierre sur les façades (et bris de vitre)… occasionnées par les festivités organisées à la salle de banquet S.B. Turquoise, rue de l’Espérance (dont l’entrée se situe sur le parking du Delhaize).

Ces festivités se succèdent au printemps et en été au rythme de trois par week-end (les vendredis, samedis et dimanches) à partir de 19 heures sans compter les «essais» préalables des disc-jockeys qui durent parfois des heures.

Ces festivités ont pour ainsi dire lieu en plein air puisque l’essentiel des convives et les ribambelles d’enfants évoluent et jouent sur les pelouses devant les maisons tandis que la musique de la salle est largement diffusée vers l’extérieur par la double porte tenue grande ouverte jusqu’à minuit trente (en moyenne).

Au-delà du problème des bandes d’enfants (toujours les mêmes puisqu’il s’agit de fêtes de la même communauté) qui font un jeu de la provocation des habitants, c’est à nouveau au sujet de la hauteur du volume de la musique perceptible, qui excite les uns et les autres, que je vous interpelle.

Une salle des fêtes à ce point exploitée devrait en effet être imposée de normes acoustiques strictes comprenant surtout un sas d’entrée avec des battants de porte munis de bras de fermeture automatique ce qui paraît la moindre des choses. Si aucune normes n’existent de ce point de vue dans le règlement communal, il serait peut-être temps de les créer d’urgence…

La double porte d’entrée en bois vient d’être remplacée par des battants de porte métalliques pourvus de barres anti-panique… ! Peut-être sous l’impulsion de vos services qui ne semblent n’attacher d’importance qu’à l’aspect sécurité. Inutile de dire que cette « rénovation » est superflue et ne règle en rien le problème acoustique puisqu’elles sont toujours ouvertes ce qui en fait certainement la salle la plus sûre du pays (du point de vue de l’incendie) d’autant que la plupart des convives restent toujours à l’extérieur…

Personne ne comprend dans le quartier une telle latitude accordée à un exploitant qui organise son commerce juteux tous les week-end aux dépens de la quiétude des habitants. Ceux-ci hésitent à appeler la police par peur d’un regain de représailles (déjà effectives) ou se lassent en constatant que les forces de l’ordre sont aussi lassées qu’eux. Il ne reste donc plus qu’à subir les boules Quies qui ne font qu’atténuer le bruit…

Cette missive n’attend aucune réponse écrite de votre part. Le caractère convenu des précédentes, leurs tons apaisants qui laissent augurer un changement dans les faits qui ne vient jamais… ne fait qu’accroître l’exaspération.

Veuillez agréer, Monsieur le Bourgmestre, mes salutations distinguées.


7 juin 2008

Cinq filles couleur pêche d’Alan Ball au Théâtre Proscenium hier soir, par l’auteur de la série télévisée Six pieds sous terre et d’American Beauty au cinéma. Cinq femmes cherchent à échapper aux mondanités de la cérémonie de mariage de leur amie Sandy en se réfugiant dans ce qui fut sa chambre de jeune fille. À la demande de la mariée, elles se sont toutes affublées d’une robe couleur pêche et d’un noeud assorti dans les cheveux. Elles vont et viennent entre la réception et la chambre, se laissant aller à boire, à fumer des joints en médisant sur les invités et se livrant à des confidences de plus en plus triviales.

L’auteur donne de la femme une image cynique, désabusée, désinvolte, amorale, volage, en perdition sentimentale... avec la drague et le sexe pour sujets de conversation principaux... Difficile donc d’y reconnaître la femme «moyenne».

Un scénario pauvre - sans grand intérêt, sauf celui d’une gentille distraction fleuretant parfois un peu trop avec la vulgarité. La nature féminine que l’auteur semble avoir cherché à démontrer avec ce panel de femmes mises en scène est affligeante…

Si le potentiel des comédiennes était perceptible, on les sentait néanmoins insuffisamment rodées – ce n’était que la deuxième représentation. L'inanité du texte ne put, cette fois, être maquillée par les interprètes qui ont tout l’air du moins de former une belle bande de copines en-dehors de la scène mais qui auront sans doute accepté un peu facilement – peut-être de ce fait – d’endosser des rôles qui pouvaient difficilement les mettre en valeur.

Les comédiennes et comédiens amateurs... et professionnels ont souvent trop peu d’exigences eu égard à la qualité des pièces qu’on leur propose de jouer, déjà tout heureux qu’ils sont d’être sollicités...


6 juin 2008

Une séquence étonnante au journal télévisé montre l’accusé du viol et de l’assassinat de deux petites filles - dont le procès est en cours et qui nie tout depuis le début de l’enquête - passant le test du détecteur de mensonge ou polygraphe. Cet appareil fonctionne sur une combinaison de différents instruments permettant d’enregistrer simultanément les modifications de la tension artérielle, du pouls, de la respiration et de l’activité des glandes sudoripares. Les variations physiologiques sont transformées en graphiques parallèles qui sont ensuite interprétés. Bref un moyen rudimentaire de détecter l’émotion.

On assiste à la mise en condition du suspect avant l’examen par le «polygraphiste» qu’on aurait plutôt vu psychologue qu’inspecteur de police. Celui-ci commence par lui dire qu’il est assis sur une ancienne chaise électrique ! Il demande ensuite si aujourd’hui... il s’excuserait auprès des petites filles (si c’était encore possible) pour ce qu’il a fait ! Sachant que l’accusé nie tout depuis toujours et qu’il a certainement été soumis à des interrogatoires répétés et interminables, on peut s’interroger sur la méthode de l’inspecteur pour apaiser nerveusement son «client» ! Car on suppose que pour détecter au mieux des émotions il est préférable que l’examiné ne soit pas énervé dès avant le test.

On voit ensuite l’accusé droit sur sa chaise bardé d’un tube pneumographe autour de la poitrine, d’un tensiomètre au bras et d’électrodes placés au bout des doigts, répondant de manière systématique à une salve de questions lues sans répit sur un ton monocorde et dont on n’a pas même le temps de saisir le sens...

L’examen terminé on entend le «polygraphiste» annoncer à l’accusé que les réponses à ses questions sont mensongères, qu’il en fera rapport et que la pièce sera versée au dossier (à charge).

Le présentateur du journal affirme sérieusement après la fin du reportage que ce test est fiable de 90 à 95% !

Si on peut admettre que l’appareillage détecte effectivement les émotions, il est pour le moins raisonnable de penser qu’elles ne sont pas forcément le reflet d’un mensonge. On imagine bien que l’émotivité (en ce compris la simple nervosité) d’une personne même innocente peut être affectée par la nature et la forme des questions qu’on lui pose révélant la plupart du temps les lourds soupçons qui pèsent sur elle.

Cette séquence aura surtout permis de constater à contrario de ce qu’elle voulait démontrer jusqu’à quel point on peut manipuler l’opinion et la justice sous couvert de sciences et de techniques (rudimentaires) surtout si le personnel à qui on confie la manipulation du matériel et l’interprétation des résultats est convaincu par avance.

Il y a heureusement dans ce cas de figure précis d’autres preuves scientifiques bien plus tangibles qui démontreront sans doute la culpabilité de l’accusé mais on n’ose imaginer de quel poids les conclusions du polygraphe pourrait peser dans ceux où elles seraient beaucoup plus minces.


5 juin 2008

Organiser soi-même un périple à l’étranger relève d’une certaine technique. Il faut dans l’ordre :
- déterminer la durée du voyage en fonction du temps dont on dispose, du budget, de ce qu’on souhaite visiter ou se laisser aller à apprécier sur place...
- choisir ses dates de départ et de retour de préférence avec une certaine latitude de manière à pouvoir bénéficier des vols au meilleur prix tout en tenant compte de la durée du voyage, des heures de départ, des escales... (parfois inconfortables),
- choisir ses étapes, estimer les distances et le temps nécessaire pour aller d’une à l’autre,
- réserver ses hôtels ou en fonction de leurs situations et du meilleur rapport qualité-prix pour une durée de séjour dans chacun d’eux qu’il faut pouvoir estimer au regard de ce dont on veut profiter dans leurs environs,
- réserver un véhicule adapté au parcours, au confort que l’on souhaite, au volume de ses bagages...,
- contrôler les jours et heures d’ouverture des sites, monuments que l’on veut visiter,
- s'informer sur les moeurs, la culture, l'histoire du pays qu'on va visiter et les oeuvres qu'on pourra voir pour les apprécier au mieux,
- repérer des restaurants ou les moyens de s’alimenter pour ne pas trop perdre de temps à en chercher sur place.

On imagine bien que pour ce faire, il faut de préférence avoir accès à l’Internet, posséder un ou plusieurs guides touristiques, une carte routière à une échelle suffisamment petite : 1/400.000 ou 1 cm = 4 km minimum, avoir recours à un moteur de recherche pour les réservations diverses (choix des hôtels, etc.), utiliser éventuellement l’incroyable programme Google earth - qui nous dispensera bientôt de voyager - pour visualiser du ciel les endroits où l’on se rendra.

Idéalement, il faut pouvoir projeter le fil de ses journées et leur enchaînement pour éviter un maximum de contretemps, donc se faire une idée la plus précise possible du déroulement de ses vacances pour que leurs chances de réussite soient les plus grandes. On pourrait être tenté de croire qu’en planifiant de cette manière on tue dans l’oeuf tout esprit d’aventure, c’est sans compter sur les imprévus qui ne manquent jamais de survenir...

L'organisation de son voyage, plus qu’un bénéfice pouvant aller jusqu’à 50 % du prix offert en agence, nous en donne un avant-goût, elle nous convie par la réflexion et l’imagination à structurer notre avenir pour un laps de temps choisi – ailleurs. Au retour, on éprouve le plus souvent un certain plaisir ajouté à constater que la réalité a accepté de se composer avec un surplus de grâce et de beauté autour de ce que l’on avait planifié.


17 mai 2008

La numéro Un du tennis mondial prend sa retraite subitement à 25 ans… On sent que l’acquiescement général dissimule tout de même une certaine incompréhension… La championne s’explique en alléguant qu’elle a perdu la flamme qui lui donnait sa motivation à jouer et à vaincre… Simple de comprendre alors que le goût de la compétition dominait la valeur passionnelle du sport chez cette athlète… que ce sont avant tout des objectifs lumineux précis qui l’ont menée au sommet du tennis mondial et dès lors qu’ils étaient atteints (plusieurs fois pour certains) ils se sont naturellement ternis faisant taire l’envie de jouer - tout court.

La philosophie du sport ne peut cependant se limiter au seul facteur d’objectifs à atteindre dans la confrontation aux autres, elle inclut de le pratiquer pour soi-même le mieux qu’on peut avec les moyens physiques et psychiques dont on dispose – même déclinants. S’il fallait que ces moyens soient toujours les plus efficaces il n’y aurait plus de sport de haut niveau possible car on irait de renoncement en renoncement d’athlètes qui auraient perdu l’espoir de devenir ou de rester le meilleur.

Cet état d’esprit purement compétiteur désavoue tout le sport «amateur» - le terme étant pris dans le sens de «qui aime» - puisque ses pratiquants savent bien qu’ils ne seront jamais les plus performants dans leur discipline. Or on peut douter que le sport professionnel soit viable sans la grande masse d’amateurs anonymes mais passionnés qui le pratiquent et qui assurent son succès commercial en tant que spectateurs, consommateurs d’équipements, cotisants, etc.

Il n’empêche que ce feu ardent de la compétition – caractéristique des grandes frustrations – a sans doute fait une championne d’exception que nous n’aurions pas eue s’il avait été d’une intensité moindre. Et à choisir…

Il y avait tout de même du miraculeux et du magistral à voir ce petit bout de femme issu d’un petit club de tennis d’une petite ville des Ardennes belges soulever à tour de bras des trophées de vainqueurs sur le court central des plus grands tournois du monde. Il y en avait encore plus à voir ce tempérament à l’œuvre dans certains gestes et trajectoires de balles… On le regrette déjà.

On ne s’étonnera pas qu’en tant que produit étincelant du libéralisme notre ex-numéro Un fasse de l’organisation de séminaires de management (d’entreprise) l’un de ses objectifs majeurs de reconversion. Elle risque cependant d’en revenir quand elle réalisera que du potentiel de sa nouvelle activité - dans laquelle quelques manieurs d’argent s’acharnent à trouver des rapprochements avec la faculté de «placer» une balle de tennis - il faut soustraire toute l’implication physique et technique, la beauté du geste et du dépassement de soi, la reconnaissance du public, l’exaltation médiatique et le rêve de devenir et de rester - le plus longtemps possible… - la meilleure au monde dans sa discipline.


15 mai 2008

Je découvre l’incroyable destin du village de Peyresq, perché sur un éperon rocheux à 1.528 m d’altitude dans les Alpes de Haute-Provence, à la lecture du livre d’Elisa Brune : Le goût piquant de l’univers (Editions Le Pommier, 2004).

Georges Lambeau, directeur de l'Académie des Beaux-Arts de Namur arrive à Peyresq en 1952. Il est à la recherche d’un mas pour organiser une fois par an des retraites pour ses étudiants dans un lieu naturel susceptible de les inspirer. Il trouve un village en ruine où ne sont plus recensés que trois habitants permanents : le maire, son épouse et une de ses filles. Il décide avec Toine Smets, un ami bruxellois, d’en faire un centre humaniste en mémoire de Nicolas Fabri de Peiresc (1580-1637), un érudit épris de sciences, d’art et de nature, connu pour sa correspondance (10.000 lettres) et notamment pour son intervention courageuse auprès du cardinal Barberini (futur Pape Urbain VIII) pour stigmatiser le procès à l’encontre de Galilée.

Pendant trente ans des d’étudiants bâtisseurs belges se succéderont pour reconstruire le village (sous la direction de l’architecte Pierre Lamby) en respectant les principes et les matériaux de l’architecture provençale. En 1980, le village reçoit le prix des "Chefs-d'œuvre en Péril".

Aujourd’hui, à l’instigation d’une communauté universitaire belge, Peyresq est donc devenu un lieu de rencontre de botanistes, zoologistes, physiciens, mathématiciens, cosmologues, géographes, historiens, artistes et défenseurs de l'environnement…

Le goût piquant de l’univers est né d’un reportage télévisuel (6 heures de conférences, entretiens, ambiance) sur un colloque de Cosmologie et de Relativité Générale organisé à Peyresq chaque été depuis dix ans par Edgard Gunzig, professeur à l’Université Libre de Bruxelles. Ce reportage n’a pas trouvé de producteur et n’a donc jamais été diffusé.

La journaliste scientifique Elisa Brune qui faisait partie de l’équipe de reporters a dès lors décidé d’en faire le récit. Elle s’est efforcée de rendre accessible au grand public les «discussions piquantes » de ces cosmologistes de haut vol (notamment Renaud Parentani, Gia Dvali, Slava Mukhanov, Marc Lachièze-Rey, Brandon Carter…)

Les conférences, entretiens et débats balaient les sujets suivants : La cosmologie - La gravitation de Newton et la gravitation d'Einstein - La relativité générale et la mécanique quantique - Le temps - Les dimensions supplémentaires - La constante cosmologique - Le principe anthropique - Les cordes et les branes - La singularité - La gravité quantique - L'unification - L'échelle de Planck - L'énergie du vide - L'univers chaotique - L'énergie négative - Les fluctuations de l'espace-temps - Les constantes universelles - La géométrisation de la physique - La symétrie - La quantification de l'espace-temps - L'inflation - Le principe anthropique - Le rayonnement fossile - L'expansion de l'Univers - Les fluctuations quantiques - Le principe anthropique - La matière noire - Les collisions de membranes - L'inflation - L'entropie des trous noirs - L’emboîtement des échelles de l'Univers - L'univers primordial - continu et discontinu - Les ondes gravitationnelles - L'espace

J’en extrais pour l’exemple quelques idées et phrases marquantes :

La mécanique quantique qui décrit l’ensemble des phénomènes microscopiques et la relativité générale qui décrit l’ensemble des phénomènes gravitationnels sont les deux piliers de la physique que l’on tente depuis 70 ans de concilier. Cette unification s’inscrit en finalité de l’essentiel des recherches actuelles. On la dénomme la gravité quantique dont la théorie des cordes serait pour l’heure l’approche la plus correcte (la plus belle…)

Les trous noirs sont des phénomènes de l’univers qui font appel aux deux piliers en question : la mécanique quantique pour décrire leur radiation thermique et la gravitation pour décrire leur géométrie.

Le temps n’est qu’une variable que l’on ajoute pour simplifier la description des phénomènes physiques. Il n’est défini que par la manière dont les diverses quantités s’organisent et évoluent les unes par rapport aux autres. Il est inexistant autrement !

La loi de la gravitation de Newton est bien sûr solidement éprouvée mais dans certaines limites de grandeur. Elle n’est plus certaine au-delà de 10 exposant 27 m et en dessous du dixième de mm.

« Principe anthropique » ne désigne pas l’homme en tant que but de la création mais en tant que simple observateur.

Toute la science n’est que l’art du zoom, savoir décider ce qu’on veut regarder.
La physique est la science la plus facile, celle qui étudie ce qui a de plus simple, des choses concrètes… (contrairement à la psychologie, aux sciences sociales…)


Le récit précis d’une expérience vécue qui se révèle très instructif avec une description des ambiances et à-côtés qui stimulent la lecture. Certaines redondances dans les réponses des différents chercheurs interrogés n’ont pu être évitées mais s’avèrent peu gênantes en cette matière de discussion aux confins de la connaissance…


4 mai 2008

Lecture nonchalante et butineuse après petit-déjeuner… Je saisis au passage sur la table les informations que j’ai trouvées la veille sur Les sept péchés capitaux, sujet sur lequel j’ai voulu me renseigner car il était le thème du spectacle de l’école de danse (Futur dance) auquel j’ai assisté hier soir.

J’apprends que Les sept péchés capitaux ne sont pas mentionnés dans la Bible et qu’il est une invention du magistère pour soumettre le mauvais peuple… somme toute une méthode pour pouvoir permettre aux hommes de mieux vivre en société. Ces péchés étaient stigmatisés lors des leçons de catéchisme dans le but d’inculquer une rigueur morale dès le plus jeune âge.

La liste de ces péchés apparaît dans la Somme théologique de Thomas d’Aquin au treizième siècle (question 84, Prima secundae) : la paresse, l’orgueil, la gourmandise, la luxure, l’avarice, la colère et l’envie.

Des appellations désignant des faiblesses ou des vices qu’il faut entendre parfois au second degré comme la gourmandise qui plus que la goinfrerie alimentaire implique la recherche excessive des jouissances matérielles… ou l’envie qui sous-entend aussi une indifférence au bonheur d’autrui et même une satisfaction de son malheur.

Je jette un coup d’œil ensuite sur le journal Dimanche (gratuit) que j’ai trouvé sur le comptoir de la boulangerie. Je m’arrête à un article sur Louis Michel dans la rubrique Actualités. J’épingle sa déclaration à l’adresse de la République Démocratique du Congo : «Dans un pays immensément riche, on n’est pas capable d’avoir suffisamment le sens de l’autre que pour utiliser cette richesse, pour faire en sorte que ces gens ne souffrent plus…».

Une paraphrase habile pour contourner une dénonciation directe de la corruption qui y sévit, rappelant que l’Union européenne dépense beaucoup d’argent pour créer un Etat au service de la population, non pour enrichir quelques-uns…

Je dépose mon journal pour entamer L’élégance du hérisson (Gallimard) de Muriel Barbery où en fin de première page le personnage principal déclare que pour comprendre Marx il faut lire L’Idéologie allemande (écrit en collaboration avec Engels) et l’auteur de prolonger :
«Les hommes, qui se perdent de désirer, feraient bien de s’en tenir à leurs besoins. Dans un monde où l’hubris du désir sera muselée pourra naître une organisation sociale neuve, lavée des luttes, des oppressions et des hiérarchies délétères.
- Qui sème le désir récolte l’oppression, suis-je tout près de murmurer...»

En moins de dix minutes, trois lectures fortuites, à priori sans rapport qui se révèlent étonnement liées, s’illustrant ou se répondant les unes les autres…

PS : hubris signifie, chez les anciens Grecs, une démesure, une outrance dans le comportement, un sentiment violent né de l'orgueil, allant jusqu'au dépassement des limites. Il pouvait conduire à la faute majeure : l'offense envers les dieux.
Synonyme : hybris.


29 avril 2008

J’en suis à ma énième lecture studieuse de mes cahiers de vocabulaire - quatre pleins cahiers Atoma de mots rencontrés qui m’ont interpellé et dont j’ai voulu fixé le sens précis en retranscrivant leurs définitions des dictionnaires Robert, Larousse, Littré... tout en y ajoutant parfois des remarques personnelles. J’ai associé ces relectures depuis quelques années à la pratique du vélo sur rouleaux (devant lequel je place un pupitre)... m’étant rendu compte que l’effort physique donnait aux mots un volume qu’ils n’avaient pas au repos.

Cette envolée lexicale n’a lieu que dans le contexte précis d’une moyenne idéale à trouver en fonction de la forme physique du moment - généralement elle se situe entre trente et trente-cinq kilomètres l’heure. Elle ne trouve sa pleine mesure que lorsque la moyenne se stabilise, le coup de pédale se mécanise, se laisse oublier pour s’ouvrir au dédale jubilatoire de la sémantique.

Une vitesse trop basse et le volume se dégonfle, des passages se referment, les possibilités de choix se tarissent ; une vitesse trop élevée et c’est la démultiplication dans l’essoufflement, le décrochage vers des pensées vagabondes ; une vitesse précise et adéquate enfin, et les mots se bousculent, se chevauchent, n’en finissent pas de dévoiler leurs sous sens, de se donner à comprendre.

C’est donc un dosage parfait de l’effort associé à une maîtrise inconsciente du coup de pédale qui m’a projeté dans l’exploration des sens du mot «puritanisme», la pensée oxygénée s’évadant dans tous les démembrements de sa définition, les reconstitutions imagées, les contradictions raisonnées...

Le puritanisme - dont la composition du mot donne déjà un bel indice de sa signification grâce à son morphème «pur» qui nous permet de deviner qu’il s’agit d’une doctrine qui cultive la pureté - désigne une tendance radicale du protestantisme anglo-saxon se caractérisant par une exigence de zèle, d’intransigeance, de sévérité implacable pour les moindres manquements.

Mais surtout le puritanisme nous rappelle les incroyables divergences d’influences et de points de vue qu’ont eu les religions monothéistes sur le système économique mondial.

Ce courant religieux a en effet fortement contribué au développement de l’esprit capitaliste puisque les succès professionnels sont interprétés par ses fidèles comme des signes de l’élection divine confirmant la doctrine de prédestination. La rigueur de la morale interdisant la jouissance des biens de ce monde, le puritain est amené à accumuler son capital et à l’investir davantage pour assurer son salut.

Si le puritanisme prône une mentalité marchande, une organisation rationnelle, bureaucratique et bourgeoise du travail, le judaïsme soutient plutôt la spéculation, le capitalisme de parias. Par extrapolation, on peut donc dire que la religion qui domine le monde au travers le phénomène de la mondialisation économique est une savante combinaison du protestantisme radical et du judaïsme, obédiences qui squattent les esprits de la nation motrice… Outre-Atlantique.

Dans cette saga du Veau d’or, l’Islam prend résolument le rôle du contradicteur tandis que le Catholicisme se contente de celui du suiveur… Réfractaire ou prudent, l’un et l’autre ont sans doute retenu la mésaventure de Moïse qui par la faute des adorateurs s’est trouvé condamné à passer sa vie dans le désert sans jamais voir la Terre Promise.


21 avril 2008

Une heure trente du matin : depuis deux bonnes heures des individus bariolés de rouge – vêtements, visages, chevelures, crânes, calicots et étendards - convergent lentement vers le centre de la ville, le plus souvent par petits groupes ou par hordes conquérantes. Chants partisans, slogans, injures, adjurations, éructations, tambours, clairons et klaxons… les transportent. Ils sont déjà quinze mille peut-être vingt maintenant rassemblés sur la grande place et leur nombre ne cesse encore de croître.

Les forces de police semblent avoir renoncé à réfréner leur ferveur, ils prennent pourtant d’assaut tout le mobilier urbain : abris d’autobus, poteaux, réverbères, panneaux publicitaires, fontaines, arbres… Le bourdonnement enfle à mesure que la troupe grossit, il est entrecoupé à intervalles de plus en plus courts d’hymnes étranges, de cris de ralliement, de feux symboliques érubescents lorsqu’une escouade s’attaque soudainement au palais des Princes... escalade des échafaudages opportuns et parvient sur les toits où elle enflamme des fumigènes qui inondent toute la façade de lueurs incendiaires. Disséminés à différentes hauteurs, les séditieux haranguent la foule, la stimule par de grands gestes.

D’autres mèches sont amorcées au sol provoquant des éblouissements intenses persistants et des nuages de fumée empourprés. Des explosions retentissent de toute part, tandis que les chants s’amplifient, et que des drapeaux à l’effigie du Che s’agitent d’ondoiements redoublés. Un roulement de tambours gronde et donne le rythme des respirations et des battements de cœur. Tressaillements, bousculades, sautillement saccadés, poings inexorablement levés, doigts pointés au ciel ou dressés en forme de «V», rien ni personne ne semble plus pouvoir empêcher l’insurrection.

Les habitants des pourtours de la place réveillés ou maintenus éveillés semblent prendre conscience de l’importance de l’instant, du pronunciamiento en cours. Les fenêtres s’éclairent aux étages et se chargent d’ombres dans l’expectative, inquiètes.

Il est presque deux heures du matin, lorsque soudain d’une artère adjacente proviennent des clameurs et des sensations de mouvement de foule. La partie supérieure des immeubles que l’on peut seule apercevoir est inondée d’une lumière blanche progressive. Une sonorisation fracassante et des clameurs accompagnent l’apparition d’un camion semi-remorque illuminé dont on a ôté les parois pour ne laisser subsister que des garde-fous et le toit auquel sont fixées des rampes de projecteurs. Toute la belle équipe est là qui frétille, salue, hèle, remercie depuis sa plate-forme...

Le convoi se dirige ou tente de se diriger vers le palais des Princes..., mais c’est la ruée, le délire poussé à son apogée, l’état de transe graduellement coordonné en sauts et en chants rythmés. Les éventuels observateurs qui pensaient être venus en toute neutralité se trouvent obligés de se renier. La foule est à ce point condensée, compressée, que ceux-là se trouvent soulevés de terre dans un mouvement saltatoire incontrôlable pendant plusieurs minutes. Il faut attendre une faille dans la cohésion des frénésies pour cesser de rebondir, se dégager et éviter l’asphyxie…

L’idolâtrie est telle que le vaisseau se trouve immobilisé plus d’une heure par les fidèles et dévots qui y restent accrochés, suspendus aux bastingages... L’équipage finira tout de même par pénétrer le palais des Princes... Il est trois heures trente lorsque le sacre à lieu sur son balcon et que sous la « ola » initiée par ces équipiers alignés, toute la cité, reconnaissante du talent de ses champions, semble leur donner son allégeance au coeur de la nuit ardente.


15 avril 2008

Les images de milliers de vélos rangés sur des espaces réservés aux endroits stratégiques des villes des Pays-Bas (devant les gares, les administrations, les écoles, les grands magasins…) et l’omniprésence du deux-roues dans les rues me reviennent et m’interpellent à posteriori. Il semble en effet évident que la solution d’avenir la plus pratique, la plus bénéfique pour la santé, la moins coûteuse et la moins polluante pour circuler dans les villes est bien celle qu’ont choisie depuis longtemps les Néerlandais.

Le prétexte le plus répandu pour expliquer cette «culture» du vélo unique au monde est évidemment l’absence de relief, or on sait que le centre de presque toutes les grandes villes d’Europe et d’ailleurs ne comportent pas de dénivelés. On peut donc plus raisonnablement penser que les néerlandais ont un sens pratique, économique, écologique... et surtout une vitalité que les autres peuples n’ont pas... Difficile d’avouer ses carences...

Le mauvais climat ne constitue pas non plus un prétexte valable puisque celui des Pays-Bas n’est pas des plus favorables... Les utilisateurs ont bien compris que les jours de pluie continue (beaucoup de selles de vélos parqués sont protégées par un petit sac plastique) ou de grand froid sont très minoritaires en fin de compte sur une année.

Le vélo incite à un habillement décontracté, moins apprêté (sans pour autant être inélégant)... qui doit plutôt favoriser la simplicité et le naturel des relations humaines. Il invite aussi à une prise de conscience quotidienne de sa physiologie, de sa santé corporelle indissociable de l’équilibre psychique d’une personne.

Le rapport à l’espace, aux conditions atmosphériques, aux saisons, aux senteurs... est évidemment bien différent de celui qu’on peut éprouver dans le volume clos et étriqué d’une voiture où le corps est oublié au profit de la tête qui tend à se gonfler parce qu’elle se sent à l’abri de la cuirasse de la machine qui lui donne en outre l’illusion d’être investie de sa puissance mécanique... Une illusion le plus souvent inversement proportionnelle à sa faiblesse mentale.

La voiture par ses spécificités se révèle donc une source de stress inévitable puisqu’elle suppose de la part de son pilote une maîtrise permanente de ces forces inhumaines confrontées en permanence à celles des autres. Le vélo est en revanche par nature, décontractant et bien plus que cela : «humanisant».

Il ne faudrait pas croire que la moto constitue un compromis sauf à être adepte d’une certaine philosophie de conduite. Plus que l’automobiliste, le motard détourne le rapport serein à l’espace, à l’environnement, au climat... pour exalter la griserie que procurent les chevaux de l’engin tenu entre les jambes... faisant de ce moyen de locomotion le plus dangereux de tous.

Insuffler une «culture» - ne fut-ce que celle du vélo - n’est jamais simple. Même si on peut saluer les initiatives de l’Etat (et des villes) d’inciter les employeurs à accorder une indemnité exonérée d’impôts ou de lancer des opérations comme Cyclocity à Bruxelles ou Vélib’ à Paris… qui offrent des vélos en location dans une multitude de stations… ce sont les aménagements routiers spécifiques qui seront déterminants pour susciter son utilisation massive. Ceux-ci et le sentiment de sécurité qu’ils induisent ainsi que le respect des automobilistes pour les cyclistes semblent en effet corrélatifs à leur nombre (des cyclistes en petite minorité dans la circulation motorisée sont négligés et considérés comme des gêneurs).

Le procédé de la location de vélos n’est qu’un incitatif. Il convient surtout pour des usages occasionnels. D’un point de vue pratique et financier, l’idéal reste d’utiliser un ou des vélos personnels (les Néerlandais ont souvent recours à deux vélos pour aller au travail, un pour accéder à la gare de départ et un second qui les attend à la gare d’arrivée) qui seront de préférence purement utilitaires, sans grande valeur marchande afin de ne pas tenter les voleurs.


12 avril 2008

Si, par impossible, l’Humanité échappait aux pièges qu’elle se tend à elle-même (destruction des ressources de la planète, pollutions en tous genres, famines, guerres et terrorisme motivés par la haine de la différence, le pouvoir et l’avoir...) et qu’elle prospérait dans quelques siècles dans un bel équilibre environnemental et sociétal, cela signifierait qu’elle sera parvenue à maîtriser les aberrances du comportement humain qui trouvent leurs origines dans le façonnement du cerveau. Car à l’exception des cas pathologiques le cerveau est bel et bien façonnable...

Il est avéré en effet qu’il est possible de brider par un apprentissage approprié les tendances pernicieuses de l’encéphale à condition sans doute que le système de société dans lequel il est amené à évoluer ne l’incite pas à tout moment à se débrider. En supposant donc le milieu de vie en harmonie, la psychologie, science souvent peu ou mal considérée – car inexacte et relative - jouerait enfin un rôle primordial.

Le livre de Dan Freeman, psychologue canadien intitulé Le cerveau du bien et du mal, publié aux éditions Quebecor relève sept bogues (défauts de conception) responsables de tous les maux du monde qu’il nous invite à suppléer pour développer une conscience nouvelle.

1er bogue : prédisposition humaine à percevoir le mal avant le bien. Sur sept émotions fondamentales une seule est positive : la joie, face à la peur, la colère, la tristesse, le mépris, le dégoût, la surprise.
Nécessité donc de s’exercer au positif.

2ème bogue : tendance à mentir (à se trouver des prétextes, à faire courir des rumeurs, des racontars) pour justifier sa haine de la différence à la base de la violence.
Nécessité d’éviter le mensonge.

3ème bogue : tendance à voir le monde comme la majorité et à répéter des mêmes façons de vivre, de penser, de croire... (effet de groupe)
Nécessité de poser un regard neuf pour échapper au conformisme inconscient.

4ème bogue : fragilité de l’équilibre mental incitant des dépendances à la drogue, à l’alcool, au tabac, aux médicaments, aux aliments, aux jeux d’argent, au virtuel (jeux, télé, internet), à la violence....
Nécessité de s’attaquer aux trois causes de ce déséquilibre (1. maltraitance de l’humain : les contraintes psychiques, émotionnelles, intellectuelles et physiques au travail notamment 2. abrutissement causé par les médias 3. éducation et modèles négatifs)

5ème bogue : tendance à l’automatisation de la pensée, à s’y accrocher pour cesser de réfléchir par facilité (par exemple les militaires, les croyants, etc.)
Nécessité de s’ouvrir sur la diversité et accepter des opinions et idées nouvelles, de se responsabiliser.

6ème bogue : tendance à prendre des décisions sous le coup de l’émotion qui diminue les capacités rationnelles.
Nécessité de s’entraîner à contrôler ses émotions et prendre du recul pour gagner en sagesse.

7ème bogue : tendance à faire fi de la compassion quand des intérêts personnels et égoïstes sont en cause amenant un désengagement moral à la base de tout acte inhumain.
Nécessité à considérer objectivement le point de vue de l’autre, à évaluer avec justesse la proportion de la force avec laquelle on riposte (il est prouvé qu’on répond au mal qu’on nous fait avec 40 % plus de force !)

Dan Freeman élève au rang de règle impérieuse et indéfectible l’absolu respect de la vie humaine. Aucune cause, aucune situation, aucun événement ne peuvent justifier de sacrifier une seule vie même pour en sauver d’autres. Une seule exception ouvre la porte à une multitude d’autres...

Toutes ces résolutions demandent un «entraînement» qui devrait trouver sa place dans tous les programmes scolaires.

Si le livre de Freeman apparaît utopiste en l’état actuel du monde où la majorité des populations sont déscolarisées très tôt sinon de facto et luttent pour survivre, il a le mérite de relever les déficiences essentielles de la nature humaine et d’indiquer une méthode sinon une voie dans laquelle il vaudrait mieux ne pas tarder à s’engager...


5 avril 2008

Lecture de Samedi (paru aux Editions Gallimard et en folio) de Ian McEwan, un des auteurs contemporains anglais les plus lus et les plus en vue.

Comme le titre peut le laisser supposer, McEwan nous fait la narration chronologique d’un samedi dans la vie d’un neurochirurgien londonien réputé d’une cinquantaine d’années. Une journée qui se trouve essentiellement marquée par un accrochage entre sa voiture de luxe et celle de trois individus douteux qui aura des retombées ultérieures mettant en péril toute sa famille.

Pour le reste, le fil de la journée s’écoule au gré d’événements relativement anodins (vision depuis la fenêtre de sa chambre pendant la nuit d’un avion dont un réacteur est en flammes, discussion nocturne avec son fils musicien qui rentre d’un concert, acte sexuel avec sa compagne, match de squash avec un confrère, visite à sa mère placée dans un home et atteinte de la maladie d’Alzheimer, achats chez un poissonnier, visite de sa fille et de son beau-père en soirée qui sont tous deux poètes, opération urgente impromptue...) valent surtout par la précision, la justesse, le détail de leurs descriptions mais aussi et surtout par les introspections et discussions qu’ils suscitent.

Ainsi l’avion en flammes provoquent des questions sur le terrorisme, l’énorme manifestation contre la guerre en Irak qui a lieu en ville alors qu’il se rend à sa partie de squash entraîne un débat contradictoire argumenté, la discussion avec son fils est prétexte à des réflexions sur la musique, celle avec sa fille sur la littérature, la maladie de sa mère et les opérations qu’il pratique amènent des considérations sur la science, sur la fragilité de la vie, sur la perception qu’on en a en vieillissant, sur les dangers planétaires que recèle l’avenir, etc.

Les qualités principales de l’auteur sont de fouiller les domaines dont il parle, de se documenter de manière très pointue (description complète d’une opération du cerveau), de réfléchir à leurs propos, de poser des jugements parfois tranchés provoquant la réflexion chez le lecteur...

Un livre qui vaut donc par sa grande humanité, par la richesse de la psychologie des personnages qui se trouve aussi analysée que le reste.

Mais l’absence d’une histoire réelle, d’un fil conducteur narratif se ressent. Elle se manifeste par un excès de digressions, une profusion de sujets nuisant à l’unité, un manque de corrélation entre les faits de cette journée qui paraissent avoir été rassemblés artificiellement par l’auteur amenant une sensation d’invraisemblance (surtout à la fin suite à l’événement crucial du livre). Ces lacunes dans le suspens provoquent quelques «temps morts» au cours desquels la lecture se traîne un peu même si ce qui est décrit est bien observé, bien analysé, bien dit…


30 mars 2008

Difficile de cerner tout à fait l’attirance pour une personne, un objet ou une contrée. On cherche bien à l’expliquer par la sympathie, la chaleur, la beauté, la correspondance de sentiment, de langue, de moeurs, de culture... en percevant bien n’y parvenir jamais entièrement.

Ainsi pour un pays, on pourrait invoqué un attrait pour la variété de son relief, de ses paysages naturels et urbains, sa culture... Dès lors que la langue des autochtones est mal maîtrisée, on imagine qu’un argument invisible œuvre au charme des Pays-Bas, une contrée désespérément plate à l’urbanisme homogène et sans surprise pour les centres villes - à quelques exceptions près...

On pourrait penser que cette planitude génère par sa dimension manquante une curiosité, un mystère, une spiritualité relevant de sa carence naturelle... Une analogie facile avec ce qui fait l’attrait de la peinture. Un art qui y connut et y connaît toujours une prospérité sans pareille depuis le 15ème siècle. La majorité des villes y font honneur par de grands musées consacrés à la peinture ancienne ou à l’art contemporain, des maisons et des centres dédiés.

Sont à voir essentiellement : le Van Abbemusuem à Eindhoven, le Bonnefantenmuseum à Maastricht, le Rijksmuseum et le Stedelijkmuseum (fermé jusque fin 2009) à Amsterdam, la Mauritshuis et le Gemeentemuseum à Den Haag (La Haye), le Boijmans Van Beuningen à Rotterdam, le Kröller-Muller Museum à Otterlo au milieu du très beau Parc National de la Haute Veluwe.

On trouvera partout des «traces» des grands maîtres hollandais : Jean Van Eyck à Den Haag, Jérôme Bosch à Hertogenbosch (Bois-le-Duc), Rembrandt et Van Gogh à Amsterdam, Vermeer à Delft, Frans Hals à Haarlem… sans oublier (comme artistes plus proches dans le temps) Mondrian et l’étonnant M.C. Escher (in het Paleis) à Den Haag.

La sensation d’omniprésence de l’eau, de reflets dans les canaux, de ponts en dos d’âne, de façades de pignons à redents du 17ème et 18ème siècle, du vélo comme moyen principal de locomotion, d’un vent d’ouverture d’esprit (contraire à celui qui souffle en Flandre belge) qui se manifeste par sa population multiraciale cohérente, ses libertés accordées au sexe et à la drogue, campe l’atmosphère d’un tableau vivant à découvrir et à respirer.


24 février 2008

Nous étions treize... non pas à table, mais treize spectateurs au théâtre de l’Étuve hier soir pour la pièce de Denise Chalem, Dis à ma fille que je pars en voyage. Le hasard (s’il existe) a voulu que cette représentation ait pour sujet le monde carcéral (en particulier celui des femmes) et – on l’apprend à la fin – une détention abusive qui finit mal... L’illustration parfaite pour souligner le motif de l’action d’Amnesty International (voir l’article du 19 février).

La vie en cellule y est justement rendue par un décor simple mais efficace : barreaux, sanitaires sans intimité, mobilier élémentaire soigneusement réparti entre les deux détenues, petite fenêtre – lien primordial avec le monde extérieur - adroitement mise en valeur par les éclairages qui suggèrent le temps qui passe (nuits, jours, saisons), bruitage angoissant révélant toute une vie environnante invisible (bruits de pas, de portes, de chariots, de clés, cris et coups étouffés...), surgissements impromptus de la gardienne, gestuelle mécanisée des détenues confinant au rituel, obsessions maniaques, silences et langage des corps... Tout un univers assimilé sans que les comédiennes n’aient encore dit un mot.

On imagine l’importance de la relation entre deux femmes qui partagent la même cellule et c’est en elle qu’on trouve évidemment le motif essentiel de la pièce. L’une purge une peine de 12 ans qui tire à sa fin, elle est grande gueule, gouaille, spontanée, colérique, marquée par les difficultés de la vie… caractères derrière lesquels on devine une grande humanité ; l’autre arrive pour accomplir une peine nettement plus légère, elle est bourgeoise, instruite, et n’a pas eu trop à souffrir de la vie… Une rencontre de deux mondes qui passe de l’indifférence à la violence pour finir par une amitié profonde.

La situation critique de l’enfermement (comme toutes les situations critiques) est propice à révéler les facettes cachées de la nature humaine, les trois comédiennes (Jacqueline Meunier, Caroline Lemaire et Françoise Leclercq) les dévoilent avec talent et sans proportionner leur peine à l’importance de l’assistance…

En revanche si on ne doute pas des compétences du directeur du théâtre réputé pour l’organisation du festival estival de Stavelot, il semble que l’énergie y investie le soit aux dépens de cette petite «maison mère» pourtant très sympathique qui souffre (depuis déjà de nombreuses années) d’une programmation un peu maigre et d’une action publicitaire inexistante (malgré un site internet bien fait qui n’attend qu’à s’étoffer).


23 février 2008

Il aurait suffit de presque rien… juste peut-être un peu plus de fer liquide dans son noyau pour que la planète la plus proche (42 millions de kms à son passage le plus proche) soit une sœur jumelle parfaite de la Terre. Une deuxième Terre que l’Homme aurait sans doute déjà colonisée, un nouveau monde qui aurait permis à l’Humanité de voir venir… mais peut-être aussi de «laisser venir» en comptant de trop sur ce monde de rechange.

On présume en effet que c’est l’absence de champ magnétique (produit par le noyau métallique) protecteur du flux solaire responsable de la dissociation rapide de H2O qui se trouve à l’origine des différences de climat et d’atmosphère. Celles-ci rendent malheureusement invivable «l’étoile du berger», le troisième objet le plus brillant du ciel (magnitude -4,6) après le Soleil (-26,73) et la Lune (-12,6).

Les deux planètes se sont pourtant formées dans le même nuage de gaz et de poussière il y a 4,6 milliards d’années. Leurs surfaces se caractérisent l’une et l’autre par des plaines, des montagnes, des plateaux élevés, des gorges, des volcans et peu de cratères (signe d’une surface jeune). Leurs masses, leurs dimensions, leurs gravités sont presque équivalentes, leurs compositions chimiques très proches…

Mais la différence cruciale - celle qui ne laisse à l’Humanité qu’une seule chance au lieu de deux – se situe dans la composition de l’atmosphère qui contient 97% de dioxyde de carbone (au lieu de 0,035 % pour la Terre où l’azote et l’oxygène prédominent) produisant un effet de serre qui fait monter la température moyenne de sa surface à 480°C.

La rotation rétrograde (à l’envers par rapport à la terre) est une des autres particularités de notre planète sœur. De plus, elle met 243 jours pour tourner sur elle-même contre 224,7 jours pour tourner autour du Soleil ce qui signifie que le jour sidéral vénusien est plus long que son année. On expliquerait cette rotation étrange par une collision gigantesque avec un autre corps de grande taille pendant sa phase de formation.


19 février 2008

L’école, l’armée, l’usine, le bureau… laissent aisément pressentir à tous ceux qui les fréquentent (ou les ont fréquentés) le supplice de l’enfermement total auquel les prisons contraignent. Tous ces lieux, à différents degrés, se caractérisent par la réglementation, la discipline, la surveillance, la répétition, l’ennui, la standardisation, la mise en concurrence avec châtiments et récompenses, l’inculcation de la mornitude par la réduction maximale des espaces personnalisables et humanisables ; l’inadaptation à ces niveaux les plus communs menant inexorablement au plus sévère : l’incarcération.

Cet emprisonnement se révèle encore bien plus abusif et éprouvant lorsqu’on n’a pas démérité à l’école du conditionnement et qu’on y est donc contraint de manière arbitraire. C’est l’injustice à laquelle l’avocat londonien Peter Benenson s’était attaqué il y aura bientôt 47 ans en lançant un appel pour une amnistie des «prisonniers oubliés» dans le journal The Observer, à la suite de la condamnation à 7 ans de prison de deux étudiants qui avaient simplement eu le tort de lever un toast à la liberté dans un restaurant de Lisbonne.

Le soutien de milliers de personnes jeta les bases d’un mouvement international de défense des droits humains fondamentaux. Peter Benenson contribua aux ressources financières de l’organisation lors des premières années d’activités avant qu’elle ne compte plus d’1,8 million de membres et sympathisants actifs à travers le monde, se positionnant comme la plus grande organisation indépendante de défense des droits humains.

La bougie entourée d’un fil de fer barbelé en est devenue le symbole depuis son 25ème anniversaire. À cette occasion Peter Benenson (décédé en 2005) avait prononcé ses paroles en l’allumant : «Cette bougie ne brûle pas pour nous, mais pour tous ceux que nous n’avons pas pu faire sortir de prison, tous ceux qui ont été abattus après avoir été arrêtés, tous ceux qui ont été torturés, enlevés ou victimes d’une «disparition». Voilà à quoi sert cette bougie.»

L’action d’Amnesty International s’est en effet progressivement étendue à l’abolition de la peine de mort, à la lutte contre la torture, contre les violences faites aux femmes. Ses techniques d’action consistent : à adresser un courrier massif aux gouvernements, aux organisations comme l’ONU ou l’Union européenne, aux ambassades, aux groupes politiques, aux entreprises… pour obtenir des changements au niveau des pratiques ou des textes de loi ; à attirer l’attention des médias sur des violations précises de droits humains ; à diffuser un mensuel «Libertés» ; à organiser des conférences et projections par le biais du Cercle Peter Benenson.

C’est l’une de ces projections suivie d’un débat qui m’a incité à me rendre au cinéma Le Parc hier soir ; Alexandra, film russe d’Alexandre Sokourov introduisait le sujet: la guerre en Tchétchénie.

Le scénario de prime abord séduisant – une grand-mère rendant visite à son petit-fils, capitaine dans un camp militaire de l’armée d’occupation russe – s’est révélé finalement un peu pauvre pour en faire un film digne d’intérêt. La caméra se contente d’accompagner la grand-mère (Alexandra) d’un bout à l’autre de son séjour, ne nous apprenant pas grand-chose sur la routine de la troupe en attente d’opérations : entretien des armes, conversations égrillardes, déambulations entre les tentes du campement… L’escapade d’Alexandra au village tchétchène voisin dévasté se présente comme l’épisode charnière du film destiné à nous montrer la relation ambiguë des habitants avec les occupants russes mais sans rendre le film bien plus palpitant.

Si la volonté manifeste du cinéaste de ne pas filmer la guerre (et sa violence) est louable, se contenter de nous la faire percevoir par une inspection sommaire de son instrument – l’armée en stand by - apparaît un peu court pour «illustrer» le sujet : la guerre en Tchétchénie. À moins que le film ait plutôt vocation de faire état de cette dépersonnalisation, de cette langueur, de cette misère d’existence morne et canalisée que nous imposent – si on ne s’en défend farouchement – les rouages huilés d’intérêts sournois de la société, dans lequel cas il est parfaitement réussi.

Le débat n’apprendra pas grand-chose non plus… La Fédération de Russie et Poutine semblent surtout combattre les velléités d’indépendance de cette petite république d’obédience islamique - se situant sur le parcours d’oléoducs souterrains -pour la valeur de l’exemple à l’égard des autres provinces afin de préserver au maximum le territoire, l'honneur et la puissance de l’ex-grande Russie.


18 février 2008

Pari tenu, gageure soutenue, défi relevé… lancé l’année dernière à la même date. Il m’aura donc fallu exactement une année moins cinq semaines de voyage, moins cinq semaines de préparation d’exposition, moins neuf heures quotidiennes de bureau (trajets compris), moins le temps consacré au sport, à la lecture, à la peinture, aux spectacles, aux escapades, à l’astronomie, à la famille, aux amis, à ces carnets, à dormir… pour aller au bout de ce premier roman de deux cents pages, terminé ce soir. Il est plus juste de soustraire le temps qui ne fut pas dévolu au roman (et encore) car cette pérégrination dans cette autre dimension du réel occupe en pensée tous les espaces libres de non-activité, de rêveries.

Un cap dépassé, un nouveau continent abordé, celui de l’imaginaire permanent, tellement vaste, tellement riche, tellement envoûtant qu’on se demande comment on a pu vivre sans en avoir connaissance jusque-là. Car la poésie, les pièces de théâtre, les essais, les articles… sont des disciplines qu’on ne peut rapprocher de cette terra incognita romanesque qui n’accepte de se dévoiler qu’à force de rigueur, d’obstination, de prouesses ne cédant que par petites doses pour le plus grand plaisir de son soupirant.

Se pointe à présent la phase des corrections, des relectures, des sollicitations d’avis aux amis lecteurs pour avoir des points de vue neufs, extérieurs, des évaluations qui permettront les derniers réglages avant l’épreuve fatidique et lancinante de l’envoi aux maisons d’édition et de la réception inévitable des lettres standardisées de refus de publier. Le véritable écrivain ne s’en formalise pas contrairement à ce qu’on pourrait croire car il écrit avant tout pour son épanouissement personnel, si ce n’est par besoin irrépressible. Les envois terminés, il a accompli son devoir, celui d’avoir donné l’occasion aux éditeurs de mettre son univers à la portée de tous... La diffusion ou non ne change rien puisque pour lui les mondes parallèles restent ouverts à sa meilleure convenance.


17 février 2008

Appel de Sophie sur mon portable. Elle marche contre le vent (que j’entends souffler) sur la plage. Elle s’approche de la frontière française et de Bray-Dunes.

Je lui conseille de se diriger vers la borne frontière érigée en 1819 qui marquait à cette date la frontière entre la France et le royaume des Pays-Bas et qui marque aujourd’hui celle entre la France et la Belgique fondée en 1830. Cette borne en pierre bleue dont la face supérieure fait trente centimètres de côté émerge du sable d’une bonne vingtaine de centimètres, elle est frappée de la lettre F sur sa face verticale orientée vers le sud et N (Nederlanden) sur la face nord, la date (1819) figure aussi sur une de ses faces.

Je lui propose de monter dessus à pieds joints comme je le fais à chacune de mes balades dans le parc naturel du Westhoek, de se tourner vers le sud et de ce point de vue privilégié – le point du territoire français le plus au nord, possessions d’outre-mer comprises - de balayer du regard le paysage sur au moins 120 degrés pour être certain d’englober l’entièreté du pays, de fermer ensuite les yeux et d’inspirer très profondément... Sensation délicieuse d’ingurgiter la France et tout ce qu’elle représente...

Mais tu es fou... m’entends-je dire au bout de l’autre portable...


16 février 2008

Il m’aura fallu une invitation inopinée et exceptionnelle en tant que VIP (Very Important Personality), «personne très importante» en anglais, pour prendre la réelle mesure de cette ségrégation sociale proliférante dans le milieu du spectacle sportif et artistique de haute volée, nouvelle perversion sournoise du libéralisme galopant…

Le VIP se gare dans un espace réservé dûment signalé, passe par une entrée spéciale (où il n’attend pas), bénéficie (évidemment) d’une place gratuite des mieux placées et des plus confortables. Le VIP dispose le plus souvent d’espaces particuliers (interdits aux non VIP) où il peut se désaltérer et se restaurer à l’œil. L’ambiance y est cossue, feutrée...Il y rencontre des gens dans les affaires, des personnalités médiatisées, des politiciens, de hauts fonctionnaires, des invités de tous bords…

Si on veut bien comprendre le principe de sponsors fortunés ayant acquis leur quota de places à offrir à leurs clients (ou à qui bon leur semble), cherchant de cette manière à accroître leur prestige et favoriser leur commerce, on a plus de mal à admettre celui qui crée une caste de privilégiés très peu renouvelée, le léger « roulement » des invités disparaissant quasiment à l’occasion des spectacles les plus prometteurs…

Toujours les mêmes donc… et parmi eux, ceux qui foulent aux pieds (plus que les autres) l’éthique la plus élémentaire, les politiciens et hauts fonctionnaires qui n’ont pas été mandatés par la population pour courir d’après-midi en soirées VIP…

Il suffit donc de les repérer sur leurs sièges réservés pour savoir pour qui ne plus voter. Une technique de vote qui ne laisse presque plus de choix…


10 février 2008

Retour d’un troisième voyage en sept mois dans la péninsule ibérique. Voyage conçu comme tous les vrais voyages aux seules fins de satisfaire la curiosité du monde, de «chasser» sa Beauté – naturelle, artistique, sociétale… Le mot «voyage» est celui qui semble porter le mieux ce sens particulier au point qu’il devrait s’y limiter, excluant celui qui aurait pour but principal la détente, le repos, l’esquive de la routine qu’on entend mieux sous l’appellation de «retraite» ou d’«escapade», ou celui qui ne rencontre pour motif qu’un devoir, une action ou une fonction à accomplir en un lieu éloigné et qu’on verrait plus justement cantonné au terme de «mission» ou de «déplacement».

Le voyage nécessite donc toujours, en ce sens, un effort plus grand que celui produit dans le quotidien, même du travail. Il réclame, avant d’être entrepris, une préparation soignée (pour aller au plus intéressant) ; il postule, en son cours, de l’observation, de l’attention, de la contemplation et des références de mémoire à assurer (photos, films, prises de notes…) ; il induit au retour un bilan susceptible d’ajouter à la richesse personnelle (non matérielle) du voyageur.

Une panoplie de paysages, d’œuvres humaines, de mœurs et de visages ayant des airs de déjà vus, on ne sait où… et pourtant formellement inédits s’offrent alors à la croisée des hasards, de l’endroit, des dates, du climat, du moment de la journée et d’une foultitude de circonstances développant toute la fortune de la vie au présent. Être là plutôt qu’ici sur un simple désir délibéré et planifié de vouloir seulement admirer… et l’enchaînement poétique du voyage se fait propice et enviable des plus petits détails aux besoins essentiels.

Prêt à appareiller… un kiosque à musique silencieux illuminé au bord de la lagune ; une fanfare composite arpentant les ruelles désertes et endormies d’une vieille ville d’Algarve à l’approche de minuit ; des orangers et des citronniers qui s’inclinent de jour comme de nuit pour se délester de leurs fruits ; une cigogne qui déploie ses ailes à l’aube au sommet du clocheton jaune d’une église baroque ; des bribes de sermons dans une langue incertaine sous de grandes orgues rouges ; une galerie d’art contemporain improvisée dans des entrepôts où flottent des cubes frappés aux noms de poètes, où s’enracinent des arbres en cartons aux feuilles de papier, où court un tapis bleu bordé de bougies, où cherchent leur chemin des sandales noirs et blanches sur la décrépitude des murs ; des orbites vides de crânes exhumés et exposés à hauteur d’homme qui fixent le regard ; des caps déchiquetés, des pointes rocheuses au-delà de la lande sauvage affrontant l’océan pour se disputer l’extrémité occidentale du continent ; l’apparition de toute une ville capitale ocré, dorée, grisée ou blanchie par l’eau et le ciel où se jettent à haubans perdus des ponts interminables ; des tramways fantômes conduits par des conducteurs factices sur des lignes en boucles ; des remparts de château fort arbitrant le conflit entre la mer ou le fleuve et la cascade des toits orangé de la cité ; une flotte de monastères porteurs d’âme estampillés «patrimoine de l’humanité» ; un écrivain qui invite discrètement à sa table ceux qui sont venus rien que pour lui au café restaurant Martinho da arcada pour leur lire un passage de son seul recueil : Le livre de l’intranquillité ; une bibliothèque sans plancher ni plafond cachée derrière une porte secrète dans les combles d’une quinta; un puit initiatique de vingt-sept mètres de profondeur distribuant des lieux magiques par des galeries souterraines à différents niveaux ; des joueurs défraîchis et fumeurs jouant des fortunes en quelques instants à la roulette ou au baccarat… dans le plus grand casino d’Europe ; une petite station balnéaire dans la solitude de la saison morte où se pressent d’un seul coup pour vingt-quatre heures cinquante mille personnes ; un pape de bronze à genoux face à l’immensité d’une esplanade qui imagine la présence de trois cent mille fidèles ; un repère labyrinthique de Templiers qui ne livre ses secrets qu’à condition de s’y perdre, une université organisée autour d’un cloître ensoleillé dans une ville retirée où les professeurs sont heureux d’éviter l’échec à leurs élèves…

La réalité poétique du voyage dépasse toujours la fiction.


20 janvier 2008

It’s a free world, le nouveau film du cinéaste britannique Ken Loach (72 ans) vu hier au cinéma Le Parc. Un titre évidemment ironique pour ce cinéaste engagé, adepte du réalisme social et grand défenseur des laissés-pour-compte. Il remporta la Palme d’or au festival de Cannes en 2006 avec Le vent se lève dans la foulée des frères Dardenne adeptes de la même mouvance – à croire que les jurys ont des remords à se pavaner dans le luxe des palaces de la côte d’Azur pendant douze jours...

Ken Loach s’attaque ici aux dérives du libéralisme économique à travers l’histoire d’Angie qui, après être passée par une multitude de petits boulots où elle s’est faite exploitée, décide de monter sa propre agence de recrutement. Son rôle est de fournir de la main d’œuvre à bas prix à des patrons cupides. Dans un premier temps, elle engage uniquement des ouvriers émigrés (ukrainiens, polonais, turcs, irakiens…) avec des papiers en règle mais finit par accepter, sous la pression des patrons, les illégaux (sans-papier) parce qu’ils sont beaucoup plus corvéables et coûtent moins cher…

Energique, intraitable, sans état d’âme, Angie semble prête à tout pour se faire un maximum d’argent. Elle rachète une maison voisine pour héberger les ouvriers et leur louer à prix d’or des lits occupés à tour de rôle (jour et nuit)… Elle dénonce à la police des clandestins occupant un campement de caravanes de façon à ce qu’ils soient évacués et qu’elles puissent y mettre les ouvriers illégaux qu’elle veut faire venir de l’étranger…

Son père essaye de la raisonner, de lui montrer le danger à promouvoir un système où les travailleurs sont payés sous le minimum légal, de lui rappeler qu’ils prennent la place d’autres qui restent sur le carreau, de lui laisser imaginer les difficultés que son fils rencontrera plus tard pour trouver un travail bien payé... Mais rien n’y fait et tout roule jusqu’au jour ou un patron ne paye pas les ouvriers qu’elle a enrôlé…

Un beau film qui pose un beau problème mais qui comme la kyrielle de films à vocation de critique sociale ne nous fait pas progresser dans sa résolution. Aucun embryon de propositions… À moins de s’y arrêter pour les chercher soi-même mais combien le font ?

Changer de système économique apparaît illusoire et utopique tant il est avéré que celui en vigueur est le plus adapté à la nature prédatrice de l’Homme. Vouloir le brider dans sa voracité de richesses matérielles et de pouvoir mènerait sans doute à de plus grandes catastrophes encore. Lui laisser trop liberté, comme ce film le démontre, conduit à la jungle sociale. La solution passe donc par une réglementation et un contrôle plus rigoureux de l’immigration, du travail au noir, de la procédure de recrutement, par des accords précis avec les pays dont ils proviennent, par des agences qui dépendent de l’Etat (britannique) et non de privés dont le seul but est de s’enrichir le plus vite possible.

Une aide au développement des pays dont proviennent les travailleurs afin de favoriser une mise à niveau économique plus rapide semble primordiale pour éviter le drame humain de l’immigration (surtout dans le cas des familles séparées). En espérant que cette croissance économique ici comme là-bas se fasse de plus en plus dans le respect de l’environnement…

P.S. : Il faut souligner la remarquable interprétation de Kierston Wareing (Angie) pour sa première apparition au cinéma, au point qu’on hésiterait à parler d’interprétation tant on a le sentiment que la personnalité d’Angie est celle de l’actrice.


13 janvier 2008

Sand la scandaleuse, une pièce de Thierry Debroux vue hier soir au théâtre Le Moderne (par la compagnie du Moderne).

Après la biographie romancée de Zelda Fitzgerald (voir billet du 6 janvier), les femmes à scandales font décidément les choux gras des auteurs. On remarque que le scandale réside surtout dans la liberté que ces femmes ont prise avec les convenances de la vie amoureuse, un scandale qui apparaît nettement moins quand il s’agit d’hommes…

C’est malheureusement cet aspect de leur existence que les auteurs exploitent essentiellement plutôt que de montrer ce qu’elles ont réalisé d’intéressant. Moralité : si vous êtes une femme et que vous voulez faire passer votre œuvre artistique à la postérité faites scandale de la manière dont vous savez...

Cette partialité est flagrante dans cette évocation théâtrale de la vie d’Aurore Dupin (1804-1876), baronne Dudevant, alias George Sand (qui a sans doute choisi ce pseudonyme masculin pour faciliter l’édition et le succès de ses premiers livres – dont le premier écrit avec Jules Sandeau dont elle a gardé une partie du nom), connue pour ses nombreuses liaisons, souvent orageuses notamment avec Alfred de Musset et Frederic Chopin.

Mais George Sand fut surtout un écrivain à la production gigantesque. Elle a laissé une centaine de livres : romans, nouvelles, pièces de théâtre dont vingt-cinq créées sur des scènes parisiennes, nombreux articles de propagandes politiques pour des journaux divers (dont certains qu’elle a fondé). Elle fut très engagée politiquement, républicaine, communiste, soucieuse de la révolution sociale, elle posa des questions sur la propriété, les rapports du capital et du travail... Son œuvre témoigne d’une religiosité profonde (avec une vision panthéiste de la Création) et du souci du progrès moral de l’humanité.

On imagine dès lors sans peine que les amours de George Sand étaient loin d’occuper sa vie tout entière comme la pièce de Thierry Debroux pourrait le laisser croire. L’auteur la met en scène au bord de la mort (étendue malade sur un canapé dans sa chambre) dialoguant avec une apparition étrange : la jeune femme qu’elle fût à trente ans. Des dialogues dans une langue châtiée, sensuelle, parfois grivoise n’abordant donc que le sujet de l’amour, les rapports entre hommes et femmes, les épisodes de sa vie sentimentale en revenant sur les amants successifs les plus célèbres et entre lesquels sont joués au piano à queue… du Chopin et du Liszt (dont on ne sait s’il fut un amant avéré).

Malgré une mise en scène un peu statique (Georges Sand âgée reste en position couchée tout le long de la pièce : une performance !), le jeu et les belles voix des comédiennes ont rendu le spectacle agréable.

Quelques œuvres de George Sand : Horace (1841), Consuelo (1842-1844), La Mare au diable (1846), La petite Fadette (1851), Histoire de ma vie (1854-1855), La Daniella (1857), Mademoiselle la Quintinie (1863), etc.


6 janvier 2008

Lecture d’Alabama Song de Gilles Leroy (au Mercure de France) qui a obtenu le prix Goncourt 2007.

Un livre qui laisse le lecteur perplexe dans sa première moitié et qui l’oblige à lutter un peu contre l’ennui, à «courir après» sa lecture alors qu’il est en droit d’espérer être transporté. Un auteur qui procède par séquences anachroniques, les ayant sans doute écrites dans l’ordre chronologique pour les mélanger ensuite et leur donner un style de composition «contemporain» qui rappelle très fort celle du film relatant la vie de Bob Dylan, I’m not there (voir article du 3 janvier). Gilles Leroy prend plaisir à brouiller les cartes, à se balader de visions en visions parfois délirantes en évitant soigneusement de dire de qui et de quoi il parle.

Il y a donc grand intérêt à se renseigner au préalable sur les épisodes de la vie des protagonistes (Scott et Zelda Fitzgerald) pour se tisser un fil rouge dans ce tumulte d’allusions… Mais on ne peut nier dans sa deuxième partie une forme d’accoutumance à l’égarement qui finit par ne pas être désagréable. La qualité du style émerge plus que l’action avec son vocabulaire recherché, son langage jouant sur le mode argotique, ses mises en scène détonantes pour animé le cynisme, la vacherie et le goût du scandale des personnages.

On peut s’étonner tout de même (comme toujours en pareil cas) des libertés que l’auteur prend avec la réalité des faits et le comportement du couple puisque Leroy fait de Zelda (la narratrice) une fille à soldats et lui attribue un avortement imaginaire… tandis que Scott est réduit au rang de tyran paumé dans l’alcool ayant chipé certains de ses écrits à Zelda…

On trouvera un peu commode de demander au lecteur en dernière page de lire Alabama Song comme un roman mais non comme une biographie. On peut croire que Scott Fitzgerald et Zelda n’ont pas (plus) de descendants ou alors qu’il y a eu un arrangement sur les revenus du livre pour accepter une telle image de leurs aïeux.

Superflue aussi l’avant-dernière page où l’auteur, revenu à sa réalité, avoue son homosexualité en comparant un amant de jeunesse à Scott, c’est-à-dire à quelqu’un qui voulait l’empêcher d’écrire et brider son tempérament, posant ainsi son livre en dernière instance comme une revanche personnelle déplacée.


3 janvier 2008

J’en étais à me demander si le septième art - qui fut ajouté aux six arts classiques désignés par Hegel à la suite de l’architecture, la sculpture, la peinture, la danse, la musique et la poésie – n’usurpait pas de plus en plus son titre. Je commençais à n’y voir qu’un passe temps anodin auquel on a attribué le label «art» pour chercher à valoriser une activité passive sans grand intérêt et se donner bonne conscience d’y céder trop souvent. Combien de productions peuvent-elles être réellement considérées comme des œuvres artistiques ? Moins d’une sur dix sans doute...

On ne peut malheureusement compter sur la critique pour orienter son choix puisqu’elle est la plupart du temps complaisante sinon soudoyée. Trouver la perle rare - à voir - relève donc du hasard ou de l’intuition fondée sur la recherche d’une documentation fouillée et d’avis préalables. Un vrai travail que d’aller au cinéma si on veut éviter qu’il ne soit surtout l’art de perdre son temps (et son argent) !

Becoming Jane, un film anglais de Julian Jarrold avec la très touchante Anne Hathaway (dans le rôle de Jane) vu hier au Parc, est de ceux qui justifie (enfin) l’appellation la plupart du temps « non contrôlée » de septième art. Bien construit, raffiné, il émeut sans pathos, raconte des vies en nous décrivant les rouages de la société anglaise du début du 19ème siècle.

C’est l’histoire du premier amour (et du seul) de la romancière Jane Austen (1775-1817) qui apporte l’explication de son célibat et du fondement de son œuvre : la frustration d’un amour qui n’entrait pas dans les intérêts des familles respectives. Morte à quarante-deux ans, elle nous a laissé six romans satiriques et pleins d’esprit (Orgueils et préjugés, L’Abbaye de Northanger, Raison et sentiments, Mansfield Park, Emma, Persuasion).

Cette question qui aura fait toute la vie de Jane Austen restera sans doute encore longtemps d’actualité. Jusqu’à quel point «l’intérêt» (financier, de prestige ou autre) s’insinue-t-il dans nos rapports amoureux ? Combien de mariages d’amour pur et sincère sur dix ? Encore moins que les films que l’on peut qualifier d’œuvre d’art sans doute…

On imagine mal en effet Carla Bruni épousant un chômeur… mais la majorité des exemples sont moins grossiers...


I’m not there, un film américain (vu au Churchill) qui retrace à sa manière la vie de Bob Dylan, n’est pas du même registre que le précédent et loupe l’appellation « non contrôlée » de septième art à force d’avoir trop voulu l’avoir.

Six acteurs jouent les différents âges de la vie du compositeur, interprète, guitariste et harmoniciste de folk, rock et country américain, six acteurs tellement différents du personnage réel et dans un découpage tellement chahuté et déjanté que le spectateur s’en trouve égaré. Le réalisateur a choisi le style «patchworks de vidéos d’art contemporain» sur une durée de 2 heures 15. On comprend dès lors que de nombreux spectateurs sortent saturés d’ennui avant la fin (dont moi-même) ce qui signe un gros échec cinématographique…

La seule conclusion «révélatrice» que le spectateur doit se charger de formuler est que les grandes stars du rock ou d’autres choses… sont malades de leur succès (surfait). Une maladie que l’on repère facilement aux symptômes de l’arrogance, de l’assuétude au luxe, à la drogue, à l’alcool, à la sexualité débridée.
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