"Il faut que la peinture serve à autre chose qu'à la peinture", Henri Matisse.
Alain Zenthner
La rubrique «Journal» rassemble articles, réponses aux sollicitations, impressions, commentaires, et improvisations (à chaud) sur des faits vécus ou d'actualité.


17 novembre 2012

Petite satire étonnante de la bien-pensance, par un auteur qui est encore souvent pris comme référence scolaire, mais sans doute pas pour le texte qui suit :

Chanson à boire

Philosophes rêveurs, qui pensez tout savoir,
Ennemis de Bacchus, rentrez dans le devoir :
Vos esprits s'en font trop accroire.
Allez, vieux fous, allez apprendre à boire.
On est savant quand on boit bien :
Qui ne sait boire ne sait rien.

S'il faut rire ou chanter au milieu d'un festin,
Un docteur est alors au bout de son latin :
Un goinfre en a toute la gloire.
Allez, vieux fous, allez apprendre à boire.
On est savant quand on boit bien :
Qui ne sait boire ne sait rien.

Nicolas Boileau Despreaux (1636-1711)
(Écrite à l'âge de dix-sept ans.)



10 novembre 2012

La pratique politique ne serait-elle pas plus vraie, plus performante, plus sereine, plus objective, plus désintéressée et donc plus humaine… si elle était bénévole ?

Ne s’épurerait-elle pas d’elle-même, nous évitant en outre des transmissions de pouvoir automatiques de père en fils, l’enracinement de certaines personnalités politiques et de leurs réseaux, l’accaparement de certaines fonctions à vie…

Le cas du président de l’Uruguay pourrait être le présage d’un «bénévolat» politique généralisé à venir, contraint par le cours de l’évolution du monde…
En effet, la politique actuelle fondée sur la productivité croissante est une politique de terre brûlée qui mène à la désertification des ressources de la planète. Elle devra donc se muer de gré ou de force en une productivité recyclable qui n’autorisera plus les ambitions personnelles de pouvoir et de richesses matérielles démesurées… L’adoption d’un autre mode de vie à la surface de la planète semble dès lors inévitable.

José Mujica, élu en 2010, cultivateur de fleurs de son état, s’insurge contre l’esclavagisme moderne consistant à vivre pour travailler au lieu de travailler pour vivre. Il considère que les pauvres sont ceux qui ne travaillent que pour essayer de garder un train de vie et de l’améliorer toujours. Il fait remarquer que ceux qui n’ont pas beaucoup de biens n’ont pas besoin de travailler toute leur vie comme des esclaves pour les garder et qu’ils ont donc plus de temps pour eux-mêmes, plus de liberté.

Quant à lui il vit avec 900 euros par mois ! 90% de son salaire de 9.300 euros étant versé à des associations caritatives…


15 octobre 2012

«Une histoire doit être suffisamment exceptionnelle pour justifier qu'on la raconte», extrait de Une prière pour Owen, de John Irving
Une réplique du personnage principal dont on pourrait faire un adage qui devrait s’adresser à la plupart des romanciers contemporains surtout à ceux des plus connus qui sont poussés par leurs éditeurs à boucler un roman tous les ans…


14 octobre 2012

Selon son jury, le prix Nobel de la Paix est remis à l’Union Européenne, car elle aurait, pendant plus de six décennies, contribué à l'avancement de la paix et de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l'homme, réussissant à faire passer l’Europe d’un continent de guerre à un continent de paix. Le travail de l’Union représenterait la fraternité entre les nations…

Un point de vue biaisé du jury car remettre le prix Nobel de la Paix à l’Europe, c’est plutôt le remettre à nouveau aux Etats-Unis (après celui attribué en 2009 à Obama). En effet, les pays européens ont surtout réalisé la paix sous l’impulsion et le contrôle de ceux-ci au sortir de la dernière guerre, la défense commune de l’Union Européenne étant d’ailleurs toujours réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). De l’aveu même de l’un des ses anciens députés, Jean-Louis Bourlanges : « Ce n’est pas l’Europe qui a fait la paix, c’est la paix qui a fait l’Europe ».

Le modèle de paix et de démocratie de l’Union Européenne est pour le moins vacillant quand on la voit imposer par ricochet simpliste des restrictions aux populations les plus fragiles (par ailleurs innocentes) des pays endettés, les poussant dans la rue à des révoltes « pacifiques » désespérées, plutôt que de chercher à sanctionner les vrais responsables de la crise et de la politique économique, financière et fiscale menée depuis des dizaines d’années dans ces pays.

Ces hauts dirigeants et autres entrepreneurs privés sont évidemment à l’abri de ces directives puisqu’ils profitent du secret bancaire helvétique pour dissimuler les bénéfices accumulés de ces politiques. La somme des avoirs grecs (par exemple) échappant au fisc atteindrait 200 milliards d’euros (dont 35 milliards ajoutés récemment) alors que l’effort demandé par la zone euro pour éponger une partie de la dette est de la moitié...


12 octobre 2012

La vraie parole d’opposition, celle qui doit être tenue sans relâche, doit l’être par les romanciers, par les poètes, par les dramaturges, parce que la majorité du personnel politique est soit muette, soit complice. La liberté de l’artiste doit s’exercer partout où se révèle une injustice : plans de licenciements, délocalisations, gel des salaires, situation des travailleurs sans papiers, place des Roms dans notre société, question des retraites, notamment celles des femmes, rétablissement des services publics…

Entretien avec Gérard Mordillat, écrivain.


20 septembre 2012

Ci-dessous une anaphore d’une hauteur de vue et d’une dignité incomparable avec celle qui fut utilisée à des fins intéressées lors du débat télévisé pour la conquête de la fonction présidentielle (énoncée dans ce journal en date du 3 mai 2012). Celle-ci fut prononcée dans des conditions autrement opportunes par Jean Jaurès à l’occasion d’une fête scolaire au lycée d’Albi le 30 juillet 1903.

L’humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement.

Le courage, aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la sombre nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante, dont on peut toujours se flatter qu’elle éclatera sur d’autres.

Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage est l’exaltation de l’homme, et ceci en est l’abdication.

Le courage pour vous tous, courage de toutes les heures, c’est de supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que prodigue la vie.

Le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces ; c’est de garder dans les lassitudes inévitables l’habitude du travail et de l’action.

Le courage dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c’est de choisir un métier et de le bien faire, quel qu’il soit ; c’est de ne pas se rebuter du détail minutieux ou monotone ; c’est de devenir, autant que l’on peut, un technicien accompli ; c’est d’accepter et de comprendre cette loi de la spécialisation du travail qui est la condition de l’action utile, et cependant de ménager à son regard, à son esprit, quelques échappées vers le vaste monde et des perspectives plus étendues.

Le courage, c’est d’être tout ensemble, et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe.

Le courage, c’est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l’approfondir, de l’établir et de la coordonner cependant à la vie générale.

Le courage, c’est de surveiller exactement sa machine à filer ou à tisser, pour qu’aucun fil ne se casse, et de préparer cependant un ordre social plus vaste et plus fraternel où la machine sera la servante commune des travailleurs libérés.

Le courage, c’est d’accepter les conditions nouvelles que la vie fait à la science et à l’art, d’accueillir, d’explorer la complexité presque infinie des faits et des détails, et cependant d’éclairer cette réalité énorme et confuse par des idées générales, de l’organiser et de la soulever par la beauté sacrée des formes et des rythmes.

Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin.

Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense.

Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques.


Jean Jaurès, Discours à la Jeunesse (extrait).


5 septembre 2012

Peut-être pas inutile de rappeler la finitude des capacités naturelles, énergétiques, spatiales et ingestives (des polluants) de la planète, une finitude en parfaite antinomie avec le fondement consumériste et productiviste à outrance du système économique actuel.

Le monde est un jardin dont l’Homme a la gestion puisque c’est l’être vivant à sa surface qui s’impose comme son exploitant majeur, un jardin soumis désormais à un brassage permanent d’espèces humaines, animales et végétales ainsi qu’aux aléas multiples et nuisibles d’un environnement de plus en plus artificiel. Tout y est à peu près connu mais loin d’être maîtrisé. La gageure est donc de maîtriser cette diversité instable sans la détruire, de l’entretenir judicieusement pour que le jardinier puisse continuer à en vivre.

Le jardinier actuel ne semble pas avoir les aptitudes requises puisqu’il prône la surexploitation menant droit à la dévastation. Il faudra donc un jour ou l’autre le congédier avant que son action devienne irréversible...


3 Mai 2012

La tirade anaphorique de François Hollande lors du débat télévisé l’opposant hier à Nicolas Sarkozy est révélatrice, soit du caractère bidon de l’affrontement (préalablement organisé entre les deux débatteurs), soit de la démission déjà consentie du président sortant. On ne peut en effet imaginer qu’un contradicteur entier et sincère, dans un évènement télévisuel d’un tel enjeu, laisse son opposant dérouler tranquillement son procédé rhétorique durant 3 minutes 20 sans l’interrompre. Un procédé qui faillit d’ailleurs tourner au désavantage de son protagoniste tant il est apparu peu naturel. Mais on ne croira pas que Nicolas Sarkozy ait tablé sur cette artificialité discréditante pour se montrer docilement réceptif.

« Moi président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité, je ne recevrai pas les parlementaires de la majorité à l'Élysée.

Moi président de la République, je ne traiterai pas mon Premier ministre de collaborateur.

Moi président de la République, je ne participerai pas à des collectes de fonds pour mon propre parti, dans un hôtel parisien.

Moi président de la République, je ferai fonctionner la justice de manière indépendante, je ne nommerai pas les membres du parquet alors que l'avis du Conseil supérieur de la magistrature n'a pas été dans ce sens.

Moi président de la République, je n'aurai pas la prétention de nommer les directeurs des chaînes de télévision publique, je laisserai ça à des instances indépendantes.

Moi président de la République, je ferai en sorte que mon comportement soit en chaque instant exemplaire.

Moi président de la République, j'aurai aussi à cœur de ne pas avoir un statut pénal du chef de l’État ; je le ferai réformer, de façon à ce que si des actes antérieurs à ma prise de fonction venaient à être contestés, je puisse dans certaines conditions me rendre à la convocation de tel ou tel magistrat ou m'expliquer devant un certain nombre d'instances.

Moi président de la République, je constituerai un gouvernement qui sera paritaire, autant de femmes que d'hommes.
Moi président de la République, il y aura un code de déontologie pour les ministres, qui ne pourraient pas rentrer dans un conflit d'intérêts.

Moi président de la République, les ministres ne pourront pas cumuler leur fonction avec un mandat local, parce que je considère qu'ils devraient se consacrer pleinement à leur tâche.

Moi président de la République, je ferai un acte de décentralisation, parce que je pense que les collectivités locales ont besoin d'un nouveau souffle, de nouvelles compétences, de nouvelles libertés.

Moi président de la République, je ferai en sorte que les partenaires sociaux puissent être considérés, aussi bien les organisations professionnelles que les syndicats, et que nous puissions avoir régulièrement une discussion pour savoir ce qui relève de la loi, ce qui relève de la négociation.

Moi président de la République, j'engagerai de grands débats, on a évoqué celui de l'énergie, et il est légitime qu'il puisse y avoir sur ces questions-là de grands débats citoyens.

Moi président de la République, j'introduirai la représentation proportionnelle pour les élections législatives, pour les élections non pas de 2012, mais celles de 2017, car je pense qu'il est bon que l'ensemble des sensibilités politiques soient représentées.

Moi président de la République, j'essaierai d'avoir de la hauteur de vue, pour fixer les grandes orientations, les grandes impulsions, mais en même temps je ne m'occuperai pas de tout, et j'aurai toujours le souci de la proximité avec les Français. »
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